Chapitre 41 - Retour vers le passé

115 15 0
                                    

Cette révélation de Robin me perturba plus qu'elle ne l'aurait dû. Et pourtant il faut croire que je m'étais déjà attachée à lui en si peu de temps. C'était lui que j'avais vu en premier, la mine inquiète, quand j'étais revenue à moi après mon malaise à l'Initiation. C'était lui qui avait tenu à me mettre en garde après l'agression dont avait été victime Walter. C'était lui qui m'avait retenue par la main pour éviter que je ne me fasse écraser par une voiture à Miami. C'était lui qui m'avait prise dans ses bras lorsque nous attendions devant le restaurant le même soir. C'était lui qui était venu me voir et me consoler lorsque j'avais appris que ma véritable mère vivait au Brésil.

Robin continuait de parler à côté de moi sur le canapé de la bibliothèque et je hochais régulièrement la tête alors que mon cerveau ne suivait absolument plus la conversation. Plusieurs minutes plus tard, il quitta la pièce en évoquant un match universitaire qu'il devait aller voir avec des amis de fac.

*

Je pensais que ma journée ne pouvait plus être pire mais le destin décida de me prouver le contraire dans la soirée, juste après que je me sois mise en pyjama dans la salle de bain.

J'eus soudain un violent haut le cœur. L'instant suivant je sentis mon ventre se tordre à l'intérieur de moi, mes poumons se contractèrent et mon cœur s'accéléra soudainement. Ma vision se brouilla et je me retins de justesse au lavabo de la salle de bain. C'était bien la première fois que je me sentais aussi mal et avec une horrible sensation que mon corps cherchait à se séparer de quelque chose ou peut être à se déchirer en deux.

Je suis désolée Anaïs. Je ne veux pas te faire souffrir mais c'est le prix à payer pour que tu voies ces images. Alors, surtout, sois attentive à chaque détail de ce que tu t'apprêtes à voir.

La voix était la même que celle du soir de l'Initiation. Apparemment nous ne pouvions pas communiquer sans risquer le malaise ou la douleur et ça commençait à devenir vraiment éprouvant pour moi.

Tout cessa brusquement et la perception de la réalité se déroba à ma conscience. Quelques instants plus tard, Ma vision redevint nette mais je n'étais manifestement plus dans la salle de bain du QG et le paysage qui s'offrait à moi était à couper le souffle.

À mes pieds s'étendait une vaste plaine d'herbe verte ondulant sous l'assaut d'un vent léger et taquin. Je profitai un instant de la vision pure de la nature qui s'offrait à moi : pas de building, pas de bitume, pas de voiture, pas d'avion, pas de klaxon ni de sirène hurlante mais uniquement le chant de quelques oiseaux ainsi que de l'herbe et des fleurs sauvages à perte de vue. De nos jours, rares sont les paysages sauvages tels que celui-ci. L'air frais que j'inspirai n'était pas pollué de tout ce qu'on peut trouver se baladant dans l'atmosphère pesante des villes, gaz d'échappement, égouts, essence. Lorsque je me décidai à me retourner, je me retrouvai face à un haut temple de style grec avec des colonnes en pierres blanches. Le soleil était couchant et les pierres se teintaient de magnifiques nuances de rose et de rouge. Quelques nuages éthérés prenaient la même teinte dans le ciel bleu en cette fin de journée.

Un instant de plus volé à la nature, un jour de plus volé à l'univers. N'importe qui aurait été transcendé dans ce lieu, n'importe qui aurait reconnu la toute puissance de la nature. Comment en était-on arrivé à construire des buildings et une ville au milieu du désert au Nevada qui grignotait les ressources aquatiques ? À détruire des kilomètres carrés de forêt en Amazonie ? À créer un septième continent au milieu de l'océan avec tous nos détritus ? À polluer des surfaces immenses avec tous nos déchets chimiques ou radioactifs ? À causer la disparition de centaines d'espèces animales qui ne demandaient qu'à cohabiter avec nous et partager la nature ? À quel moment la nature était-elle devenue insignifiante face aux enjeux économiques et non plus une priorité morale pour nous tous ? Quand avions-nous oublié qu'elle était l'origine de la vie, de notre existence ?

Mes profondes interrogations existentielles furent interrompues l'instant suivant.

- Tullia, Tullia ! Appela une voix légèrement essoufflée.

Je tournai sur moi-même en entendant le prénom de l'être originel des végétaux. Un jeune homme, suivi d'un vieillard et d'une petite fille, courait dans ma direction. Ou plutôt me fonçait dessus. Je levai les bras et me préparai au choc inévitable mais il me traversa comme si je n'existais pas. Il continua à courir vers le temple sans s'arrêter, toujours suivi de ses deux compagnons. Il devait avoir à peine plus de vingt ans et ses cheveux bruns légèrement longs étaient complètement en bataille après sa course à travers les champs. La petite fille blonde, dont la bouille toute mignonne ferait craquer n'importe qui, portait une robe en coton gris clair, dans un style antique. À bien y regarder, tous les trois étaient habillés à la mode antique.

Tandis que les trois individus commençaient à monter les premières marches, une jeune femme apparut dans l'entrée du temple, ses boucles marrons volaient autour de son visage d'une beauté stupéfiante et une couronne de fleur agrémentait sa chevelure. Elle portait une longue robe blanche qui cascadait gracieusement jusqu'à ses chevilles. Le jeune homme s'adressa à elle d'une voix affolée et je m'approchai pour mieux entendre leur conversation :

- Ils viennent juste d'arriver en ville et ils vous cherchent partout. Ils ont déjà fouillé une dizaine de maisons en étant bien armés et ils ne mettront pas longtemps à comprendre que vous êtes dans ce temple. La transformation était une mauvaise idée, ils vont essayer de profiter de vos faiblesses humaines.

- Rentrons, le coupa Tullia. Les autres sont tous à l'intérieur et il faut les avertir pour procéder immédiatement à la transformation inverse.

Le jeune homme prit la fillette aux boucles blondes essoufflée dans ses bras et suivit Tullia à l'intérieur, accompagné du vieil homme. L'intérieur était éclairé grâce à des dizaines de bougies fichées sur des chandeliers sur de hauts pieds en bronze mais il faisait tout de même sombre. Le plafond était orné de gravures ce qui relevait d'une réelle prouesse architecturale étant donné la hauteur sous plafond du temple. Deux tapisseries ornaient les murs de chaque côté de l'entrée, l'une représentait un banquet festif. Des satyres et des dryades dansaient et jouaient de la musique autour d'humains dégustant leur repas ou s'assoupissant dans une clairière. L'autre tapisserie ressemblait plus à ce qu'on pourrait appeler une photo de classe : plusieurs personnes étaient debout, assises ou même allongées en deux rangées. On y retrouvait des satyres et des dryades mais également des naïades et des sylphides ainsi que d'autres créatures mythologiques. Une des humaines attira particulièrement mon attention tellement son regard semblait me fixer à travers l'œuvre. Un regard électrique, qui vous transperce tel un éclair. Elle était à demi allongée devant tous les autres, avec des cheveux bruns coupés au carré ce qui détonnait avec sa robe grecque et l'aspect antique de tous les autres personnages. Une des autres femmes ressemblait vaguement à Tullia que je venais devoir.

*******

N'hésitez pas à voter et commenter !

Les Sentinelles 1 - La Sentinelle D'ArgentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant