Chapitre 1 - Réunion de famille

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J'avais encore 17 ans le jour où ma vie a basculé et tout a changé de façon irréversible. Je n'étais alors qu'une fille normale, avec une vie normale, c'est-à-dire une simple lycéenne qui achevait le deuxième trimestre de son ultime année de lycée.

Je m'appelle Anaïs et à cette époque, j'habitais à San Francisco. À présent je vis à Los Angeles avec mon compagnon mais c'est une toute autre histoire, enfin, pas tant que ça mais vous le comprendrez en temps voulu. J'étais et suis toujours brune avec des yeux hésitant constamment entre le bleu et le vert. D'après ma mère, ce sont les mêmes que mon père que je n'ai malheureusement pas connu puisqu'à peine fus-je née qu'il mourût, renversé par une voiture paraissait-il.

Tout avait commencé ce vendredi après-midi où on sentait arriver le printemps et où j'avais la possibilité de passer du temps avec Lily et Natacha après notre dernier cours de la journée. Nous allions au centre commercial pour nous acheter des maillots de bain en prévision des vacances ou disons plutôt que je subissais le choix de mes deux amies d'y aller.

Lily marchait devant moi, ses cheveux courts couleur feu flottant au gré du vent tels des flammes indomptables. Natacha essayait de la raisonner depuis plusieurs minutes :

- Tu ne vas pas annuler tes vacances avec ta mère sous simple prétexte que tu te trouves ronde !

- Je ne veux pas y aller. J'ai honte : la dernière fois que je l'ai vue, je faisais dix kilos de moins. Elle va me trouver grosse et regrettera d'avoir voulu me revoir après toutes ces années.

Lily avait toujours eu du mal à accepter ses formes voluptueuses tandis que moi je rêvais d'en avoir un peu plus, comme elle. Natacha, qui était la seule de notre petit groupe à accepter son corps et en être fière - chose assez peu évidente à notre époque lorsque nous sommes bombardés de photos parfaites retouchées - ramena ses cheveux d'un blond vénitien sur son épaule puis se tourna vers moi. Elle avait des allures de mannequin avec sa robe fleurie taillée à la perfection pour son corps, pas étonnant qu'elle ait été élue reine du bal de l'hiver de notre lycée. Elle me regarda droit dans les yeux et les siens, d'un bleu clair comme les glaciers, me firent frissonner. Reine de l'hiver, elle le portait fort bien son titre. Je soupirai et obéis à son ordre silencieux.

- Lily, la dernière fois que tu as vu ta mère c'était il y a quatre ans, c'est normal de prendre du poids pendant la puberté. Tu dois lui manquer, tu ne peux pas annuler, déclarai-je.

- Anaïs a raison et tu sais pertinemment que c'est la plus rationnelle de notre groupe ! Et puis il y a de supers maillots en soldes. Viens, c'est moi qui offre !

Natacha avait attrapé Lily par le bras et l'entraînait vers le centre commercial. Depuis qu'elle avait eu dix-huit ans, Natacha posait après les cours pour un magazine, encore une preuve de l'acceptation totale de son corps, elle touchait donc un peu d'argent tous les mois. J'accélérai le pas et les suivis dans la ruelle pour rejoindre le centre commercial, mes chaussures claquant sur le pavé.

Une heure plus tard, nous étions assises à une table de l'unique café du centre commercial. Je recoiffai mes longs cheveux lisses et jetai un coup d'œil à ma montre. 16H50. Natacha sirotait son soda et Lily échangeait des SMS avec sa maman, anticipant leur voyage à New York la semaine suivante. Je contemplait la poche à mes pieds en songeant au moment où je porterais le maillot de bain qui se trouvait à l'intérieur, quand mon téléphone sonna. Je décrochai :

- Anaïs ? Demanda la voix mélodieuse de ma mère.

- Oui maman. Est-ce-que tu as un problème ?

- Non mais pourrais-tu passer récupérer de la viande que j'ai commandée chez le boucher en rentrant ? Il y a une tante de ton père qui vient manger à la maison ce soir.

- Oui, bien évidemment !

Elle raccrocha. Le trouble devait se lire sur mon visage, ou alors c'était parce que nous nous connaissions depuis près de dix ans, car Natacha me demanda si tout allait bien.

- Il faudra passer chez le boucher en partant, répondis-je après avoir hoché machinalement la tête.

Ma mère avait gardé très peu de contact avec la famille de mon père suite à son décès brutal dans un accident de la route. Alors, imaginez, une de ses tantes qui venait manger à la maison ! Natacha paya sa boisson et nous quittâmes toutes les trois le centre commercial.

***

Il était presque dix-neuf heures lorsque j'arrivai à la maison. J'avais traîné au parc avec Lily, en bas de chez elle, en rentrant afin de la convaincre que maintenir ses vacances avec sa mère n'était pas une erreur. Je trouvai ma mère dans la cuisine en train de cuisiner. Elle leva la tête quand j'eus franchi le seuil de la porte :

- Mets-la au frigo. Elle ne devrait pas tarder, tu pourrais mettre la table, s'il-te-plaît ?

- Je m'en occupe.

Je mis la viande au frigo et quittai la cuisine. Je mis une nappe blanche sur la table en verre de la petite salle à manger et les couverts réservés aux grandes occasions. Ma mère arriva avec une bouteille de champagne dans la main droite et des coupes en cristal dans l'autre main. Je commençai à être légèrement surprise par l'importance que prenait ce petit repas de famille.

- Va te changer s'il-te-plaît. Je ne suis pas sûre que ton short en jean et ton débardeur conviennent. Tu pourrais mettre la robe que je t'ai offerte à ton anniversaire, par exemple.

- C'est une bonne idée, m'enthousiasmai-je à l'idée de la porter pour la première fois.

Je montai les marches quatre à quatre et cherchai la robe en question dans le bazar de mon armoire que j'allais devoir sérieusement ranger d'ici peu. Mais bon, procrastination quand tu nous tiens... La robe était en coton fin, beige avec des broderies indiennes colorées sur le col et l'ourlet du bas. Quand je la trouvai enfin, je pus l'enfiler. La sonnette retentit quelques instants après et j'entendis le pas précipité de ma mère dans l'entrée ce qui m'incita à dévaler les marches de l'escalier pour la rejoindre et accueillir notre invitée. Je me retrouvai dans le hall de l'entrée, à côté de ma mère et face à une petite dame. Mais face à mon mètre soixante-douze, peu de femmes me paraissaient grandes.

La tante de mon père avait rassemblé ses cheveux grisonnant en un chignon serré en haut de son crâne, une broche en argent finement ouvragée plantée dedans, et elle avait la peau bronzée, comme moi. Elle portait la même robe que la mienne, à une différence près : la sienne était blanche. Et ce qui m'étonna le plus, oui plus que le fait que nous avions la même robe, ce fut ses yeux. Ils étaient d'un marron si clair qu'on les aurait cru dorés comme ceux d'un rapace, toutefois cela ne la rendait pas menaçante comme les aigles mais lui donnait un air de personne sage et intelligente. Ils étaient vraiment magnifiques. Elle me regarda, regarda ma robe, sourit, puis regarda ma mère avant de prendre la parole pour la première fois devant moi :

- Je vois qu'elle est prête pour la longue soirée qui l'attend...

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