~ Entracte 6 ~

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Walter ~ 74 ans

Le van venait à peine de quitter le quartier général que mon inquiétude reprit le dessus sur mon allure impassible. Je me tournai vers Olga, encore à mes côtés sur le palier. Encore à mes côtés presque une vingtaine d'année après son Initiation.

- Tu as bien mis en place les pièges de protection avec ton artefact ?

- Oui mais tu sais aussi bien que moi que tant que mon artefact sera loin de moi, la puissance des pièges sera considérablement diminuée...

Je hochai la tête avant de retourner à l'intérieur du quartier général. J'y avais passé la plus grande partie de ma vie et tous mes meilleurs souvenirs étaient ici. Je cédais de plus en plus à la nostalgie depuis plusieurs semaines. Ces derniers temps, mon angoisse se faisait grandissante parce que jamais la secte ne s'en était prise à nous à une telle fréquence. Je craignais déjà depuis de longs mois un regain de leur motivation ainsi qu'une augmentation du nombre de leurs membres et visiblement je ne m'étais pas trompé. Nous avions subi deux attaques en moins d'une semaine et c'était amplement suffisant pour que je prenne mes dispositions. Je prévins Olga et Denise que j'allais dans le bureau et que je ne devais être dérangé qu'en cas d'extrême urgence.

Je fermai à clé après être entré et m'assis dans le fauteuil en cuir vert bouteille derrière le bureau en bois brut. J'avais accepté la réalité : je me faisais vieux et si je devais trépasser dans un combat contre la secte, il fallait que l'Organisation soit entre de bonnes mains. J'ouvris le tiroir du haut pour en sortir une boussole dont j'étais le seul à connaître l'existence en tant que chef. Je la posai au centre du cercle parsemé de points que j'avais tracé au préalable sur une feuille blanche. Je posai un index à la verticale à la surface de la boussole et mon autre index sur ma Marque. Je fermai les yeux pour laisser mes pouvoirs de Sentinelle faire leur travail et choisir le membre de notre Organisation qui serait le plus apte à me succéder.

Lorsque mon pouvoir se calma, j'ouvris les yeux pour observer la boussole. L'aiguille pointait à présent l'un des points du cercle à côté du quel un prénom était inscrit. Je me levai pour observer la situation par au-dessus.

- Non, ce n'est pas possible, ça n'a absolument aucun sens !

Je fis faire une rotation à la feuille et renouvelai l'expérience. Mais lorsque j'ouvris les yeux pour la seconde fois pour découvrir le résultat,la boussole indiquait toujours le même prénom. Quelque chose clochait, ce n'était pas normal et un détail devait m'échapper.Bien qu'Anaïs soit douée sur l'aspect physique, mes pouvoirs de Sentinelle ne pouvaient pas la désigner comme mon successeur légitime, elle n'avait aucun pouvoir à ce jour et elle se ferait tailler en pièces seule face à des membres de la secte.

Je jetai la feuille dans la corbeille à papiers et la boussole dans le tiroir d'où elle venait. Ce rituel transmis par mon prédécesseur n'avait absolument aucun sens, il n'avait pas pu me choisir comme nouveau chef d'une façon aussi peu fiable et trop aléatoire. Je passai encore près d'une heure à ruminer dans mon bureau en me demandant qui me succèderait le jour où je ne serais plus en mesure d'assumer mon rôle. Ma décision serait lourde de sens pour l'avenir de l'Organisation et si je décidais de ne pas me fier au rituel qui m'avait été transmis alors il fallait que je fasse moi-même un choix ce qui était presque plus terrifiant.

Après une longue réflexion, ma décision fut prise et j'inscrivis le nom de cette personne dans la lettre que j'avais déjà commencé à rédiger après ma première agression par des membres de la secte. Je scannai le document et le transmis par mail au notaire de l'Organisation. Si quelque chose devait m'arriver, tout était prêt pour l'avenir des Sentinelles, et j'espérais avoir pris le bonne décision pour mon successeur.

Pris d'une envie subite de laisser un bout de l'histoire de ma génération de Sentinelles à mon successeur, je glissai une vieille photo usée parle temps aux côtés de la boussole et des autres babioles dans ce qui serait un jour son tiroir.

***

L'alarme s'enclencha aux alentours de deux heures du matin. Le son strident correspondait à la première alarme, celle des pièges extérieurs à la maison et dispersés le long des bordures de notre propriété. Et quelque chose en avait déclenché un. Après avoir enfilé un pull en laine, je quittai ma chambre et trouvai Olga et Denise déjà dans le couloir.

- C'était un de mes pièges, m'annonça Olga. Je ne sais pas ce qui l'a enclenché, ça peut être un animal comme il y a trois mois...

- Tout comme ça peut être un intrus qui a pénétré dans la propriété, ajouta Denise.

- On va dans la salle de surveillance, ordonnai-je, peut-être qu'une des caméras a filmé quelque chose.

Malheureusement,nos craintes furent rapidement confirmées lorsque nous arrivâmes dans la salle de surveillance. Un des écrans nous montrait très clairement quatre individus qui se dirigeaient vers le QG. Ils étaient encore à une trentaine de mètres, ce qui nous laissait le temps de les accueillir comme il se devait.

- On suit la procédure d'urgence, annonçai-je. Immédiatement.

Nous abandonnâmes la salle de surveillance et descendîmes au rez-de-chaussée après avoir enclenché la fermeture automatique des volets de sécurité.Seule la porte principale n'en était pas équipée et c'est la raison pour laquelle nous allions devoir la défendre coûte que coûte afin de protéger l'héritage de générations entières de Sentinelles. Nous sortîmes tous les trois sur le perron et verrouillâmes la porte derrière nous. Trois contre quatre.Nous étions en infériorité mais beaucoup plus motivés qu'eux.Nous avions quelque chose de précieux à défendre : notre histoire,enfermée dans la bibliothèque. Eux ne voulaient que nous piller.

Enfin ils arrivèrent devant nous et ne perdîmes pas de temps en nous attaquant directement. Olga répliqua rapidement en ouvrant une crevasse dans la terre qui engloutit l'un d'entre eux. Elle entama un corps à corps avec son second ennemi. Denise commença à couvrir de pierre le bas du corps de agresseur. Je me tournai vers le quatrième homme, mes chances étaient minces de le faire plier avec mon vent mais je devais essayer. Après plusieurs bourrasques qui le maintinrent à distance, il parvint à se jeter sur moi. Je tentai de le repousser mais le choc fut violent.

Ma tête heurta lourdement le sol tandis que Denise, trop loin de moi, criait mon nom.

Mes oreilles commencèrent à siffler, me coupant ainsi de tout bruit extérieur.

Ma vision se troubla progressivement juste avant de s'obscurcir.

Ma tête me faisait atrocement souffrir suite au choc.

Une certaine langueur s'empara de mon corps.

Je ne voyais plus rien. Plus de vue.

Je n'entendais rien. Plus d'ouïe.

Deux mains me secouaient.

Puis je ne ressentis plus.

Et ce fut le néant.


Les Sentinelles 1 - La Sentinelle D'ArgentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant