𝕮𝖍𝖆𝖕𝖎𝖙𝖗𝖊 25

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Mayna était comme brisée de l'intérieur. Elle savait que ses amis avaient des ennuis mais elle savait aussi que revenir vers eux leur en causerait plus encore. Pourtant, les savoirs seuls, livrés aux soldats, à un destin qui se promettait funeste... Elle avait l'impression de les avoir abandonnés pour son propre salut et ne se pardonnait pas son geste. Continuant à ramer, elle laissait son esprit divaguer, s'imaginant tel ou tel scénario, chacun pire que le précédent, sans jamais trouver la paix. Elle espérait se tromper, connaissant les talents d'orateur d'Emelia, mais cet espoir était bien mince.

Ses larmes avaient séché depuis longtemps, bien que leur trace fût toujours aussi douloureuse sur son visage et que la morsure du sel blesse toujours autant ses yeux rougis de fatigue et d'avoir tant pleuré. Elle voyait un peu flou, comme si elle était prise dans un mirage sans fin, mais n'en avait cure. Les rives du continent des hommes n'était plus qu'une forme vague et indéfinissable à l'horizon, elle s'en éloignait d'avantage à chaque minute qu'elle passait à plonger les rames dans les eaux calmes de l'océan dont les vagues la berçaient de lents remous. Elle avait dû passer des heures à ramer, ses bras endoloris et les cloques qui recouvraient ses doigts rigides et ankylosés en témoignant, et la fatigue commençait à se faire sentir. D'autant que le soleil déclinant au loin lui offrait un spectacle des plus incroyables. Les lumières du coucher se déployaient tel un kaléidoscope hypnotisant, inondant la surface de l'eau mouvante de rubans rouges et oranges, parfois teintés de violet et de vert. Ces spectres lumineux créaient des ondées qui semblaient tournoyer et s'enrouler autours d'elle, la couvrant d'un cocon soyeux réconfortant.

Vaincue et éreintée, elle tira à elle les rames et les cala au fond de son petit bateau, s'allongeant près d'elles, son baluchon en guise d'oreiller, et s'endormit rapidement. Son sommeil fut agité de nombreux cauchemars, impliquant ses amis et leur condition de traitres à la couronne, elle les voyait torturés ou tués de la pire des manières, enfermés dans de petites cellules semblables à celle qui l'avait vue grandir. Elle pleura une grande partie de la nuit, tout en dormant, persuadée qu'elle était d'être coupable de leur mort. Leur séparation avait été si rapide, si brutale, si injuste... Elle n'avait eu aucune occasion de leur dire au revoir ni même à quel point elle les aimait tous. Sa solitude et sa douleur n'avaient pas disparu à son réveil, elles avaient même empiré.

Si l'océan avait pu auparavant l'apaiser, par son calme apparent et son chant mélodieux, il se montrait aujourd'hui inquiétant voire effrayant. Elle était seule, perdue au beau milieu d'une étendue d'eau dont elle ne voyait pas la fin, sans repère, avec pour seule compagnie ses tourments et ses angoisses. Personne ne viendrait à son secours si jamais elle venait à chavirer ou si elle était prise dans une tempête. Que se passerait-il si les fameux requins dont lui avait parlé Emelia venaient à la prendre en chasse ? Survivrait-elle ou leur servirait-elle de repas ? Que deviendrait-elle si elle ne trouvait jamais l'île ? Aurait-elle assez de provisions pour tenir jusqu'à trouver une terre où accoster ?

En parlant des provisions, son estomac commençait à se manifester. Outre les deux brioches qu'elle avait chapardées à Bétricia la veille, elle n'avait rien avalé. Elle avait l'estomac noué mais se força tout de même à avaler quelques dates, un morceau de pain et un peu de fromage sec, avant de boire quelques gorgées d'eau. La faim et la peur étaient les pires ennemis des marins, Thédy le lui avait souvent répété lorsqu'il la retrouvait dans son refuge, la bibliothèque de la maison, alors qu'elle refusait d'en sortir et se réfugiait dans les livres. Il avait passé de nombreuses heures avec elle, lui enseignant l'art délicat de manœuvrer un bateau et de faire les nœuds, de lire les courants, de reconnaître les vagues, de se diriger avec pour seule carte le ciel étoilé. Jamais elle ne se serait doutée que son enseignement serait si rapidement mis à profit mais sa reconnaissance était d'autant plus grande qu'une fois encore il lui permettait de survivre. Elle se résolu donc à manger un peu chaque jour et à ramer sans s'arrêter, se disant qu'ainsi, en se concentrant sur sa tâche, elle ne penserait pas trop à ses amis et ne se laisserait pas rattraper par ses sombres pensées.

⸙ Faeria ؞ Fille de la Forêt ⸙Où les histoires vivent. Découvrez maintenant