⸙ Faeria ؞ Fille de la Forêt ⸙

𝕮𝖍𝖆𝖕𝖎𝖙𝖗𝖊 49

Ils avaient passé tant de temps allongés l'un contre l'autre, sans parler ni bouger, que Killian s'était rendormi. Mayna était restée un long moment à détailler son visage parfait, frôlant ses angles et ses courbes du bout de l'index, déclenchant sur sa peau hâlée une myriade de frissons qui la firent sourire. Cependant elle se sentait coupable. Elle n'abandonnait pas son projet de retrouver Emelia et, lui demander de ne pas repartir semblait bien égoïste en sachant qu'elle prévoyait de quitter l'île. Elle ne se contenterait pas de changer de village, elle. Non, elle traverserait l'océan et changerait complètement de continent. La perspective de le laisser derrière elle, de partir loin de lui, l'emplissait d'une tristesse qu'elle ne s'expliquait pas. Alors elle fit la seule chose qu'elle savait faire pour se vider l'esprit.

Debout sur son rocher, près du fleuve, elle répétait toujours le même exercice. Menant à elle une gerbe d'eau, elle la maintenait en lévitation à hauteur de ses yeux tout en essayant d'y mêler de la terre. Elle n'avait fait aucun progrès et cela commençait à l'énerver au plus haut point. Chaque jour qu'elle passait sur cette île était un jour de plus qu'Emelia passait captive de ces monstres. Les larmes aux yeux, elle forçait toujours plus sur ses pouvoirs mais rien n'y faisait. Elle se sentait abandonnée par ses dons et maudissait le jour où elle avait mis un pied sur cette terre de magie. Finalement, vaincue par la colère, elle se laissa tomber au sol et fixa le fleuve d'un œil mauvais, comme s'il était responsable de son échec.

« Ce pauvre fleuve ne t'a rien fait tu sais, il ne sert à rien de le maudire du regard. »

Killian, comme à son habitude, était arrivé en silence derrière elle. Elle ne sursautait plus, se contentant tout juste de lever la tête un peu vite en l'entendant prendre la parole. Penaud, il vint s'assoir près d'elle et plongea son regard dans le sien. Ses yeux d'ambre étaient de véritables merveilles, leurs nuances dorées avaient le don de l'hypnotiser. Sentant qu'elle perdait pied, elle cligna des yeux et secoua vivement la tête.

« Tout va bien ? »

« Non... Enfin oui ! C'est juste... Je n'arrive pas à réussir ce stupide exercice. »

« Et que tentes-tu au juste ? »

« Manipuler l'eau et la terre en même temps, exactement au même moment, toutes les deux en harmonie. »

« Ah oui, en effet. Tu n'avais rien de plus simple à essayer ? »

Elle poussa un grognement et se tourna vers lui à nouveau, les yeux emplis d'amertume et de reproches. Visiblement, ce n'était pas la question à poser.

« D'accord ! Je n'ai rien dit ! Et donc, tu en es où ? »

« Nulle part... »

Il réfléchit rapidement à sa propre façon de faire. Son contrôle de l'air avait toujours été instinctif, il n'avait jamais eu besoin de réfléchir pour lui faire faire ce qu'il désirait. Il lui suffisait d'avoir besoin et l'air le faisait. A ce qu'il avait compris, il en allait de même pour les élémentaires. Une sorte de prière silencieuse, inconsciente. Peut-être n'avait-elle tout simplement pas la bonne méthode...

« Dis-moi... A quoi penses-tu lorsque tu essayes de manier les deux éléments à la fois ? »

« Bien... A ce que je veux qu'ils fassent. Pourquoi ? »

« Hmmm. Le problème, c'est que lorsque tu demandes au deuxième de faire quelque chose, tu cesses de penser à ce que le premier doit faire, et vice versa. »

« Mais... Je ne peux pas penser aux deux à la fois... »

« Dis-moi, tu arrives bien à respirer tout en marchant, non ? Tu arrives à mâcher ta nourriture tout en lisant un livre ? »

« Oui mais... »

« C'est le même principe. Si j'arrive à utiliser la magie du vent tout en volant sous ma forme animale, tu dois pouvoir manier l'eau et la terre à la fois. Ce sont deux éléments distincts. Certes, c'est toujours de la magie, mais cette magie fait partie de toi, de la même manière que tes yeux, tes mains, ta bouche, tes poumons... »

« Tu me demandes de voir la magie comme des organes ? »

« Plutôt que comme des outils, oui. Tu as besoin de ton cerveau pour savoir quoi faire d'un outil et tu ne peux en utiliser qu'un à la fois. Par contre, tes organes et tes membres, tu n'as pas besoin de réfléchir pour les contrôler, tu le fais naturellement. C'est mon point de vue après mais... »

« Non, c'est intéressant et loin d'être idiot. Je ne te savais pas si pédagogue. »

« C'est un compliment ? »

« On dirait bien. »

Elle rougissait tout en souriant. Killian lui avait donné une méthode qu'elle n'avait encore jamais expérimenté et s'y essayer la démangeait. Plus elle y pensait et plus elle en avait envie. Besoin, même. Entortillant ses doigts, elle jeta un fugace regard à Killian qui se mit à rire.

« Tu crois vraiment que je vais t'empêcher de tenter ta chance ? Allez, lève-toi et respire. Vide-toi la tête. »

« Facile à dire... »

Elle s'était levée et, les yeux fermés, s'était figée après quelques pas sans trop savoir quoi faire. Comment se vider la tête au juste ? Elle était pleine de tant d'images, de tant de sensations... Ces visions qu'elle avait eues, ces souvenirs qui la hantaient... Elle n'arrivait pas à s'en défaire, elles lui collaient à la peau, la suivaient comme son ombre en plein soleil. Quoi qu'elle fasse, quoi qu'elle tente, elles étaient là. Killian, ressentant ses tourments, s'approcha doucement d'elle. Quand il posa ses mains sur ses épaules il grimaça.

« Tu es tellement tendue... »

« Tu me demandes de me vider la tête... Si seulement tu savais tout ce que je garde à l'intérieur... »

« Je le sais. Je le vois. Je le sens. Pourquoi crois-tu que je sois revenu cette nuit ? »

« Je ne sais pas. »

« Tu m'as envoyé ton cauchemar, Mayna. Ces images, elles te hantent. Sers-t'en. Fais-en ta force et non ta faiblesse. »

« Tu parles comme si tu connaissais le moyen. »

« Possible. Je n'ai jamais volé si vite que cette nuit. Visiblement, transformer sa faiblesse en force, c'est à la portée de tous... »

Doucement, il commença à lui masser les épaules. Sa nuque était raide, ses épaules crispées, et sa peau si douce... Elle était plus que sensible à son contact et, cela aussi, il le percevait. Dans son esprit. Elle ne contrôlait toujours pas son don et pour une fois il en était plus qu'heureux. Il cessa de résister et déposa un baiser sur sa nuque, puis dans son cou. Elle fût parcourue de mille frissons et poussa un soupir qui le fit chavirer. Quand elle se tourna vers lui, il craint d'avoir été trop entreprenant mais il n'en fût rien. Les yeux clos, elle posa son front contre sa poitrine et se blottit contre lui. L'espace d'un instant, elle avait trouvé la paix. Cet instant de répit était tout ce qu'il lui fallait. Pourtant, étrangement, elle se sentait... insatisfaite. Timidement, elle releva les yeux vers lui. Il ne souriait pas mais la regardait avec tant de douceur qu'elle cessa immédiatement de réfléchir. Dans un mouvement commun, leurs lèvres se rencontrèrent. Elle avait déjà embrassé Damian, mais rien n'était comparable à ce qu'elle échangeait avec Killian. Le tourbillon de sentiments qu'ils partagèrent faisait battre son cœur dangereusement vite et annihilait sa faculté de penser. Ne restait plus qu'eux, qui ne formaient qu'un. Au bout d'un temps qui lui sembla trop court, ils se séparèrent. Mais Killian sursauta vivement.

Autours d'eux, sans personne pour les contrôler, des pierres volaient en tous sens, se mêlant dans un magnifique ballet à des arabesques aquatiques et des tourbillons de vent.