𝕮𝖍𝖆𝖕𝖎𝖙𝖗𝖊 65

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Il avait fallu plus d'une heure à la jeune femme pour qu'elle sorte de son état de choc. Elle avait ensuite pleuré tout ce qu'elle pouvait sur les tombes de ses anciens compagnons, tant qu'elle faillit manquer d'air et que ses yeux la brûlaient. Elle ne s'attarda pourtant pas, malgré son chagrin immense, et reprit bien vite sa place sur la plateforme, sous l'œil désolé de ses compagnons. Sa maîtrise de la terre était moins précise, du fait de sa peine et de sa douleur, et la pierre tremblait sous ses ordres. Les autres élémentaires, conscients que ses émotions nuisaient à sa concentration, lui vinrent en aide et enjoignirent la terre à suivre les directives de leur Faeria. Tant bien que mal, ils traversèrent en souterrain la plaine et la forêt jusqu'à l'orée de celle-ci. Il faisait nuit noire, aussi n'eurent-ils aucun mal à se camoufler sous les arbres pour organiser leur entrée dans le Coven. Orelio, qui voulait ménager Mayna, se disait qu'agir lui permettrait de ne plus penser à ses amis perdus, comme c'était le cas pour lui. Il se dépêcha alors de prendre les devants et d'indiquer l'entrée externe à la ville la plus proche de leur position. Elle n'était pas loin pour tout dire, à peine à quelques dizaines de mètres d'eux.

« On a juste à redescendre et... » Commença Rune.

« Sans vouloir vous vexer, les humains n'apprécieraient pas. Si vous vous rappelez comment j'ai réagi, seul, face à la magie, imaginez comment une foule de fidèles pourrait réagir en assistant à l'arrivée souterraine d'une troupe entière de mages traversant les murs, flottant sur une langue de terre, avant de se poser au beau milieu de la chapelle des prêtresses ! Ce serait la panique, la foule a tendance à s'emballer, j'ai l'impression que les rassemblements rendent les gens... idiots. » Déclara Orelio, passablement honteux du comportement des siens.

« En effet, ce serait fâcheux. » Répondit Rune. « Que proposes-tu alors ? Que nous empruntions la porte, comme tous les fidèles ? »

« Oui. Encore faut-il la trouver... Je me rappelle à peu près la forme et la taille de la porte, mais le paysage a bien changé depuis. Nous avions l'habitude de passer par la porte qui se trouve au centre de la cité avec mes compagnons. Cela fait longtemps... »

« Montre nous la direction, l'ami, nous t'aiderons à chercher. A nous tous nous finirons bien par trouver... »

Rune n'était que peu honnête quant à sa déclaration mais il refusait de renoncer à la moindre difficulté, et celle-ci était en effet moindre, selon lui, comparé à celles qui les attendaient dans le palais. Il suivit Orelio, appelant les mages à faire de même, et avança de quelques dizaines de mètres dans la plaine qui bordait le palais, avançant à travers les arbustes jusqu'à un talus. Au pied de ce dernier, les mages s'alignèrent à la demande d'Orelio et tâtèrent le sol.

« Il faut chercher une portion de sol d'environs un mètre sur deux, qui s'enfonce légèrement quand on porte de tout notre poids dessus. C'est une trappe. Je ne sais pas comment elle fonctionne mais elle reconnait les membres du Coven. Si je lui demande, elle s'ouvrira. »

« Un simple sortilège d'appropriation ! » S'exclama Zirene, une élémentaire des plus douées. « Je suppose que, lors de votre entrée dans le Coven, on vous marque, d'une certaine manière ? »

« Eh bien, oui, on nous tatoue un symbole sous la langue. Enfin, je dis qu'on nous tatoue, mais c'est une sorte de tampon qui laisse une marque indélébile sans utiliser une seule goutte d'encre. Je ne comprends pas comment... Attendez, c'est de la magie aussi ? »

« En effet. » Reprit Zirene. « Le tampon est enchanté pour laisser une marque sur toute partie de la peau ou du corps sur lequel il est apposé, tant que le receveur est consentant. C'est une pratique ancienne de notre peuple, à l'époque où les clans n'étaient pas aussi bien définis et où l'on marquait les mages lorsque leur appartenance se montrait. C'était une époque sauvage, où nous débarquions tout juste sur l'île et où nous n'avions pas encore établi de règles. Je peux voir le symbole ? »

« Bien sûr. » Répondit-il en s'approchant.

« C'est celui des Erudits. » Précisa Zirene après avoir bien observé la langue du marin. « C'est totalement approprié, à vrai dire, si vous conservez en ces lieux la mémoire de notre peuple. C'est le travail des Erudits après tout. Il ne nous reste qu'à trouver la porte donc... »

« En fait, non. Nous l'avons trouvée. » Annonça Theodric, un élémentaire. « Elle n'était pas bien difficile à trouver pour qui manie la terre. Mais elle refuse de s'ouvrir, même sous nos ordres. L'enchantement est fort et ancien. »

Un sourire soulagé sur le visage, il s'approcha du jeune homme et posa la main sur le sol. Il s'enfonçait légèrement, d'à peine quelques millimètres, mais c'était bien l'entrée. Il demanda à la porte de s'ouvrir par l'autorité du Coven et elle s'exécuta. C'était une ouverture béante dans la pierre, si profonde qu'on n'aurait jamais cru qu'un simple morceau de terre permette de marcher dessus sans tomber à travers. Alors qu'Orelio s'apprêtait à descendre pour ouvrir la voie, Videl l'arrêta.

« Il commence à neiger... C'est parfait pour moi. Laissez moi juste une seconde, que je puisse marquer la capitale de mes flocons. »

Ses paroles n'avaient aucun sens pour le marin mais les autres comprirent immédiatement et se turent. Mayna, curieuse, ne dit pas un mot non plus, tout comme Orelio qui respecta leur silence. Un doux sourire aux lèvres, Videl ferma les yeux et releva légèrement les paumes de ses mains pour les tourner vers le ciel. Il aimait sa magie, elle lui était agréable et réconfortante. Il ne tombait jamais de neige sur l'île et les habitants n'y étaient pas habitués, alors il s'abstenait de l'utiliser lorsqu'il était accompagné et se résignait le plus souvent à s'isoler pour regarder voler ses flocons. Là, il pouvait s'en donner à cœur joie, sans se retenir. La neige qui tombait du ciel s'intensifia doucement, passant de presque inaperçue à d'énormes flocons en quelques minutes, juste assez lentement pour ne pas éveiller les soupçons mais assez rapidement tout de même pour ne pas faire perdre de temps à la compagnie qui commençait à frissonner. Mayna, elle, n'en revenait pas. Elle voyait danser dans le ciel la magie de Videl. Dans ses yeux, elle dansait, virevoltant et scintillant, telle d'innombrables étoiles filantes lancées dans un ballet fantastique. Elle était émerveillée devant la beauté pure de cette magie de glace. Sous ses yeux ébahis, dans une de ses paumes, son beau frère matérialisa une carte de glace représentant le palais et la cité. On y voyait bouger de minuscules silhouettes, certainement les soldats et les habitants.

« Les flocons resteront en place dans les airs tant qu'il neigera puis, lorsque la neige s'arrêtera, ils se poseront à des endroits appropriés, surélevés de préférence, pour pouvoir surveiller les lieux discrètement. »

« Pratique ! Et magnifique ! » Commenta Orelio, surpris par tant de beauté. « Mais nous devrions nous hâter, nous risquons de trahir l'entrée si nous la laissons ainsi ouverte. Et nous risquons de nous faire repérer également... »

« J'ai terminé, nous pouvons y aller. Sortez les sphères lumières. »

Rune en tendit une supplémentaire à leur guide parmi celles qu'il avait prises pour lui et lui fit signe d'avancer. Orelio, qui ne comprenait pas bien comment un tel prodige pouvait avoir lieu, se contenta de hocher la tête et emprunta l'escalier abrupte qui s'enfonçait dans les souterrains. La petite sphère diffusait une sorte de halo pâle à quelques mètres à peine devant lui, juste assez pour qu'il puisse se repérer et s'orienter. Les escaliers les avaient menés une quarantaine de mètres sous terre et ils arpentaient maintenant un couloir en pente douce qui les faisait plonger plus profond encore. Lorsqu'ils arrivèrent à un embranchement, il prit quelques secondes avant de se décider, puis emprunta la voie de droite. Quelques carrefours plus tard, ils setrouvèrent face à une grande porte de bois, haute comme trois hommes. Elle était finement sculptée et décorée de motifs représentant les éléments, tous entremêlés et se rejoignant au centre en une pierre cristalline aux multiples couleurs. Avec un sourire timide, Orelio jeta un dernier regard aux mages et, prenant une grande inspiration, poussa la porte dont les deux battants s'ouvrirent en grand, dévoilant les mages aux membres du Coven. 

⸙ Faeria ؞ Fille de la Forêt ⸙Où les histoires vivent. Découvrez maintenant