𝕮𝖍𝖆𝖕𝖎𝖙𝖗𝖊 7

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Emelia n'était pas plus grande ou plus forte qu'une autre, c'était une simple orpheline qui avait choisit de veiller sur le troupeau de moutons que son père lui avait légué à sa mort. Le pauvre homme, d'une nature simple et généreuse, avait perdu sa femme en couche et vivait seul avec sa jeune fille, jusqu'à ce qu'un hiver, la maladie ne l'emporte à son tour. Dans leur petite maison, modeste mais coquette tout de même, ils avaient trouvé un bonheur que la ville, près du palais impérial, ne leur avait jamais offert. Maintenant, Emelia entretenait seule le troupeau composé de moutons blancs et de chèvres à laine, avec quelques domestiques qui l'aidaient à tenir la maison et le domaine, une esclave pour faire le ménage, en plus de Tany qui s'occupait des comptes, et deux autres pour veiller sur les bêtes quand elle était absente ou occupée par la vente de la laine brute ou des tissus qu'elle confectionnait avec quelques domestiques tisserandes. Elle aimait cette vie, sans conditions, sans attaches, et en profitait. Se levant tôt le matin, elle descendait voir comment se portaient chevreaux, agneaux, et leurs mères, elle allaitait à la bouteille les rares petits qui, comme elle, avaient survécus à leur mère à leur naissance, puis se rendait à la cuisine pour manger un peu avant de se laver et de s'habiller chaudement.

Elle attendait, après son repas de midi, un Marquis, ancienne connaissance de son père, Simien, qui souhaitait vivement lui racheter une partie de ses terres, près du flanc de la montagne, à la lisière de la forêt, parcelle cultivable bordée d'une propriété de chasse. Tout comme son père, elle n'avait jamais cautionné la chasse, fervente protectrice de la vie sauvage. Elle n'avait jamais, non plus, apprécié la noblesse et encore moins l'empereur qui, du haut de ses 117 ans, n'avait jamais rien connu d'autre que la guerre, la mort, le sang, la destruction et surtout, il s'en montrait fière, la capture d'esclaves qui, jusque là, n'avait été que des prisonniers condamnés à perdre leur dignité et leur condition humaine, réduits, pour les punir de leurs crimes, au rang d'animaux domestiques. Le Marquis des Bonissauts ne faisait pas exception, il collectionnait les esclaves plutôt que d'embaucher des domestiques pour un salaire convenable. Elle faisait donc partie des rares qui, en secret bien entendu, refusaient leur soutien à l'empereur et sa cour de noble, par des moyens détournés, refusant mariage, vente d'esclaves et de terres, soutien financier, prétextant des moyens modestes et un trop peu de personnel et de possessions. Elle se préparait donc mentalement à refuser toute proposition que lui aurait faite le Marquis de pacotille qui se croyait déjà tout permis en pénétrant sur son petit domaine.

En le voyant approcher, elle leva les yeux au ciel et resserra autours d'elle son étole de soie fine, plus une protection qui couvrait les quelques éléments de sa féminité, visibles par le décolleté de sa robe qui dénudait ses épaules et la naissance de sa poitrine, qu'une réelle barrière contre la fraîcheur de cet après-midi ensoleillé. Elle ne voulait lui laisser aucune chance d'aborder le sujet de son célibat volontaire ou de sa condition de femme tout simplement qui, bien qu'ayant évolué depuis les âges sombre qu'avait connu les règnes des premiers empereurs du pays, était toujours précaire et disgracieuse aux yeux de la noblesse. Il serait là pour discuter un prix et des conditions, rien d'autre, elle s'en assurerait. Elle le regardait approcher avec une escorte de dix cavaliers, sur son grand cheval blanc décoré d'un licol doré et d'un plumeau, sa selle finement gravée posée sur une couverture de lin bleu océan, brodée d'arabesques d'or, et se dit, elle qui se contentait de monter à cru, sans fioriture ni escorte, qu'il devait avoir quelque chose à compenser pour exposer sa richesse de manière si ostentatoire. Cette réflexion lui tira un petit rire que Tany, son esclave personnelle cachée dans son dos, s'empressa de calmer d'une petite tape sur son omoplate. Elle se ravisa et s'avança pour accueillir ce visiteur importun, qui mettait justement pied à terre, comme son rang l'exigeait.

« Monsieur le Marquis, vous honorez ma demeure de votre présence. Puis-je vous proposer un rafraîchissement ou une quelconque collation ? »

Le Marquis des Bonissauts, un grand homme, bien portant et pas des plus désagréables à regarder, la toisa un instant, un sourire en coin sur le visage, avant de lui saisir la main et d'y déposer un baiser. Emelia récupéra son membre dès qu'elle le put et le cacha sous son étole, réprimant du mieux qu'elle put une moue dégoûtée face à ce geste qu'elle jugeait à la fois déplacé et répugnant. C'était tout de même sa main, pas un endroit public où l'on pouvait à sa guise déposer de la salive.

⸙ Faeria ؞ Fille de la Forêt ⸙Où les histoires vivent. Découvrez maintenant