𝕮𝖍𝖆𝖕𝖎𝖙𝖗𝖊 36

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Mestrel se tenait derrière elle, une moue contrite sur le visage. Il avait apparemment eu vent de son altercation avec son fils, tout du moins dans les grandes lignes. Mayna soupira et consentit à sortir de l’eau pour le rejoindre sur la berge. Ses chaussures en main, elle le regardait fixement. Elle voyait enfin ce qui lui avait échappé. La souffrance était imprimée sur ses traits, la perte de sa famille avait brisé cet homme plus qu’elle ne pourrait l’imaginer. Pourtant, il avait gardé un cœur bon et doux, il s’était relevé et avait repris sa vie. Nul doute qu’il avait gardé des cicatrices de cette expérience mais il en avait fait quelque chose de beau. 

    D’un geste, il l’invita à marcher à ses côtés. Se promenant doucement le long de la berge, ils profitaient ensemble du soleil de l’après-midi, se contentant d’être là, sans parler. Elle sentait qu’elle devait prendre la parole, mais n’osait pas. Que dire en réalité, quels mots seraient justes pour s’adresser à un homme tel que lui ? Elle n’en avait aucune idée. Mestrel sembla saisir son dilemme et lui épargna la corvée de lancer la conversation. 

    « J’espère que mon fils n’a pas été trop cruel avec toi. Il peut, parfois, se montrer extrême. C’est dans sa nature. Je suis désolé qu’il t’ait prise à partie, qu’il t’ait ainsi provoquée et condamnée. »

    Elle secoua la tête. Non, ce n’était pas à lui de s’excuser pour les actes d’un autre.

    « Il a fait ce que lui dictait son cœur. Je comprends qu’il garde un… disons pour être simple, un mauvais souvenir de son passé. Même si c’est un euphémisme flagrant. Mais vous n’y êtes pour rien alors… »
    « Oh détrompe-toi ! Je suis autant coupable que lui… Il n’était qu’un enfant, il ne comprenait pas. Tout ce que j’ai trouvé à lui dire pour l’apaiser… C’était une grave erreur, je m’en suis rendu compte trop tard. Je lui ai dit que les Faerias, tout comme la nature qu’elles préservent de leur vie, étaient à la fois fortes mais capables de tout. Par là, j’entendais que la nature n’est ni bonne ni mauvaise et qu’un rien peut transformer leur merveilleuse beauté en cataclysme. Il était trop jeune pour comprendre, il s’est mépris et je n’ai jamais pris la peine de le reprendre. Il n’est pas mauvais, bien au contraire. Mais cette colère, c’est ce qui lui a permis de ne pas perdre la tête. Alors je n’ai pas eu le cœur de l’en priver. »
    « Je comprends. »
    « Tu es bien certaine de cela ? »
    « Oui. Enfin je crois ? Mais… Il ne peut plus entendre raison, n’est-ce pas… »
    « Il le peut sans doute, mais je ne connais pas le moyen. »
    « Je ne me sens pas en sécurité avec lui, je dois vous l’avouer. On m’a dit que vous aviez insisté pour qu’il m’accompagne dans notre voyage jusqu’à la tour… Mais saura-t-il mettre ses rancœurs de côté ? Arrêtera-t-il un jour de me détester pour quelque chose que je n’ai pas fait ? »
    « Je ne sais pas. Après tout, c’est un aigle… Les aigles sont exceptionnels. Les oiseaux sont rares dans notre clan, mais les aigles d’autant plus. Ils sont les maîtres des cieux, les protecteurs de notre île, les veilleurs, les sentinelles du dieu du vent, ses enfants. Dès leur naissance, ils portent la responsabilité de la sécurité de notre peuple. Si leurs sens sont aiguisés, leur force ne l’est pas moins, loin de là. Méfiants par nature, il est difficile de gagner leur confiance. Cependant, une fois acquise, ils sont d’une loyauté sans égale. Quand j’ai vu l’âme de mon fils arborer la ramure de l’aigle pour la première fois, j’en ai pleuré. De joie, de fierté… Tout cela pour te dire que s’il en est un à même de te protéger durant la traversée de la forêt, c’est lui. Il ne pourra certes pas voler mais son instinct et ses capacités pourraient bien te sauver la vie. S’il ne te fait pas confiance, accorde-lui la tienne. »
    « Comment accorder ma confiance à quelqu’un qui me voit comme son ennemie… »
    « En lui prouvant que tu ne l’es pas. Montre-toi telle que tu es, reste fidèle à toi-même. Les actes de ma femme ne doivent pas influencer ta vie, elle a sombré, ce n’est pas ton cas. Il finira peut-être par le voir. Ahah, telle est l’ironie… Mon fils a certainement la vue la plus perçante de tout notre peuple, pourtant il est incapable de te voir telle que tu es. Je trouve ça bien triste. »

⸙ Faeria ؞ Fille de la Forêt ⸙Où les histoires vivent. Découvrez maintenant