Emelia avait eu l'impression de s'éveiller après qu'un abus de boisson l'eût conduite à chuter d'une falaise. Son corps tout entier lui faisait mal, de ses os à ses muscles, en passant par divers organes, y compris sa gorge et sa tête. Elle se sentait à la fois faible et lourde, particulièrement nauséeuse mais surtout, et elle n'aurait jamais cru qu'elle en serait heureuse, elle se sentait vivante. Elle toussa, laissant ses poumons reprendre leurs fonctions, se gonfler et de vider à un rythme trop soutenu au début, puis trop calme, et enfin à la vitesse optimale. Son cœur n'était pas des plus efficaces, il battait de manière totalement désordonnée, donnant à sa maîtresse des sueurs froides et des frissons incontrôlables. Ses yeux n'avaient pas encore repris leurs fonctions et elle ne percevait pour l'instant qu'un flot lumineux qui lui donnait plus encore le vertige, son ouïe n'étant pas revenue du tout.
Inspirant de toutes ses forces, elle intima à son corps de bouger, l'obligeant à se tourner sur le côté. Elle devait bouger, les pierres qui lui rentraient dans le dos lui brisant les côtes et les reins. Au prix d'un énorme effort, elle réussit à se mettre sur le flan et, retrouvant peu à peu l'usage de la vue, chercha à se repérer dans le chaos qui l'entourait. Elle voyait encore un peu flou mais reconnaissait les formes et les couleurs. Elle comprenait qu'elle se trouvait dans la cour du palais impériale, elle l'avait traversée lorsque les limiers l'avaient emmenée. Elle était déjà bien affaiblie par les sévices qu'ils lui avaient infligés durant le trajet et avait sans peine feint l'inconscience, ils n'avaient donc pas pris la peine de lui bander les yeux ou de de la cagouler, ainsi elle avait pu observer discrètement les alentours et n'avait aucun mal à la reconnaître aujourd'hui.
Cependant, elle avait bien changé. Lorsqu'elle avait été amenée, la cour était bien rangée. Les bâtiments, bien que l'entretien laissât à désirer selon elle, était à peu de choses près propres et sains et tenaient presque tous debout, hormis la grange. Le sol était lisse, sans herbe ni roches et les chemins étaient bien dégagés et pavés. Maintenant, le palais était percé d'un grand trou qui avait fait s'effondrer plusieurs étages, le sol était jonché de débris et la neige et la boue maculaient le tout. Mais surtout, et elle se fustigeait de ne pas avoir remarqué plutôt sa présence au milieu des nombreuses silhouettes rassemblées près d'elle, Mayna était là. Allongée, sale, mais elle était bel et bien là.
Rassemblant le peu de forces qui lui étaient revenues et faisant fi des hommes qui lui tendaient la main, Emelia rampa jusqu'à sa protégée, jusqu'à ce visage qu'elle se rappelait parfaitement avoir vu avant de... Oui, elle se souvenait s'être éteinte dans cette cellule humide et glaciale, elle se souvenait du vide autours d'elle, de cette sensation de s'effacer, d'oublier sa vie jusqu'à son propre nom. Puis, avec une chaleur et une douceur infinie, tout lui était revenu à toute vitesse et la violence de ces souvenirs lui aurait arraché un cri de terreur si elle avait pu hurler. Était-ce donc son amie qui lui avait rendu la vie ? Elle en était parfaitement capable, selon elle. Elle avait foi en la capacité des mages à accomplir des miracles et Mayna avait un cœur si bon que contrecarrer les plans de la mort lui correspondait parfaitement. Elle devait, depuis qu'elle avait rejoint les siens sur l'île des mages, avoir appris à soigner les âmes, les cœurs et les corps avec sa magie comme elle avait su le faire avec ses mots.
D'une main tremblante à la fois de faiblesse et d'émotion, elle écarta de son visage les quelques cheveux qui lui en masquaient les traits et les redessina du bout des doigts. Un sourire tremblant fendit son visage, ses yeux laissant échapper des larmes qu'elle croyait taries. Elle avait perdu espoir de revoir son amie, cette jeune sauvageonne qui n'avait jamais appris ne serait-ce qu'à se servir d'une fourchette et qui posait mille questions avec un enthousiasme d'enfant. Tout l'amour qu'elle avait pour cette enfant, avant même de savoir qu'elle était du peuple sacré, lui avait rendu le plaisir de vivre et, à présent, ses souvenir et ses sentiments semblaient l'étouffer alors même que son amie gisait au sol. Mais dans ce flot de bonheur qui l'envahissait pointait l'inquiétude car malgré ses caresses et ses faibles appels Mayna restait de marbre sur le sol boueux. Un homme, grand et large, s'approcha d'elle et la releva malgré ses protestations avant de prendre la prêtresse dans ses bras et de la soulever sans effort. Elle le suivit du regard, ses cheveux blonds aux nuances improbables ondulant dans son dos, avant de forcer sur ses bras et ses jambes pour se relever et lui emboîter le pas. Aussitôt, un brouhaha se fit entendre. Humains et mages haussaient le ton, la controverse s'envenimant rapidement. Chacun donnait son avis que ce qu'il adviendrait de la Faeria à son réveil, d'aucun voulant la ramener sur l'île, les autres réclamant un souverain, les rares à garder le silence essayant tant bien que mal de se faire entendre.
Killian, qui tenait sa compagne dans ses bras, faisait son possible pour ignorer les vociférations inutiles de ceux qu'il considérait à présent comme une bande d'ignares braillards cherchant à s'octroyer le droit de décider de son avenir en lieu et place de Mayna. Emelia, le suivait avec peine, se ralliait sans le savoir à son avis, bien qu'elle ne comprenne guère les raisons de cette volonté de couronner une mage qui semblait habiter les limiers et les soldats. Elle se disait qu'elle avait certainement manqué une scène cruciale pendant qu'elle était morte et elle ne pouvait être plus dans le vrai. Killian s'était éloigné autant que possible de la querelle de la cour et avait allongé sa compagne sur un canapé de ce qui était auparavant un petit salon chaleureux. Elle respirait doucement et profondément, plongée dans un sommeil paisible et cela le rassurait. Sans mot dire, Emelia s'accroupit près d'elle et passa une fois encore sa main sur son visage.
« Elle se réveillera vite. » dit-il calmement. « C'est certes la première fois qu'elle ramène quelqu'un à la vie mais elle a déjà guéri plusieurs fois et chaque fois elle a besoin d'un peu de temps pour récupérer. Ne vous en faites pas, elle est solide. »
« Je ne m'en fais pas, j'ai simplement hâte... » murmura simplement Emelia.
Elle aurait volontiers posé des questions, demandé les raisons de leur présence, pour commencer, car elle avait la certitude que cet homme devant elle n'était pas un simple humain, ses yeux d'or semblant la transpercer, elle aurait aimé savoir pourquoi la cour était dans cet état et pourquoi diable ces chasseurs voulaient faire de Mayna une impératrice, mais elle fût coupée dans son élan par les débats de la cour qui s'envenimaient encore. La femme de caractère qu'elle était ne pouvait tolérer un tel comportement. De ce qu'elle pouvait conclure, un combat avait eu lieu, son amie s'était battue pour la libérer, certainement avec l'aide des mages et avait ensuite risqué sa santé et sa vie pour lui rendre la sienne, et ces rustres prenaient querelle sans même se soucier de ménager la jeune femme ? Avaient-ils seulement une conscience ? Connaissaient-ils seulement la notion de respect ? Les poings serrés et avec les forces qui lui étaient revenues, elle prit congé de Kilian d'un simple hochement de tête et, d'un pas décidé, rejoint la cour pour remettre cette bande de mufles à leur place. Son arrivé arracha un sourire amusé à Videl et Jaydes, qui avaient abandonné la partie, et n'avaient aucun doute sur l'effet qu'aurait l'intervention de la tisserande.
« Avez-vous seulement idée du degré de stupidité et d'irrespect qu'il faut pour se hisser au niveau du troupeau de porcs que vous êtes ? » hurla-t-elle comme elle le pût, sa voix revenant peu à peu. « Je n'ai que faire de vos différents et de vos doléances. Il y a dans ce palais une jeune femme méritante aux capacités hors du commun qui vient de me ramener d'entre les morts, et vous, du haut de vos muscles bien remplis et de vos crânes pleins de vide, vous braillez comme des enfants gâtés à qui l'on aurait arraché le jouet des mains ! Êtes-vous au moins capable de faire autre chose que vous plaindre et réclamer ce qui ne vous est pas dû ? les rats qui grouillent sous nos pieds sont moins pathétiques que vous... Faites silence, à défaut de vous rendre utile, et veillez à ne pas déranger le repos de celle qui semble nous avoir tous rassemblés, sans quoi je me chargerai moi-même d'arracher vos langues répugnantes ! »
Nul ne moufeta, chacun étant qui choqué de l'intervention de la frêle tisserande qui honteux de sa propre réaction, et tous se retinrent de répliquer, se contentant de baisser la tête et de se taire. La jeune femme n'avait pas même attendu leurs excuses, elle les avait gratifiés d'un regard des plus mauvais, chargé de menaces et avait tourné les talons, retournant au petit salon où elle fût accueillie par le ricanement approbateur de l'aigle. De leur côté, Videl et Jayde attendirent d'être certains de ne pouvoir être entendus par l'amie de Mayna et entreprirent de sermonner mages et humains, rappelant à chacun que tous avaient un dessin commun : la paix.
VOUS LISEZ
⸙ Faeria ؞ Fille de la Forêt ⸙
FantasyMayna a passé toute sa vie entre les murs froids d'une cellule de pierre, avec Damian, un des serviteurs de l'empereur, pour seul contact avec le monde extérieur. Mais la requête de l'empereur la fera s'enfuir à toutes jambes, suivant son instinct q...