Le maître des lieux tournait en rond dans son bureau privé depuis le lever du jour. Il avait vu par la grande fenêtre le soleil apparaître au loin, derrière les collines du bord de mer recouvertes des premières neiges de ce début d'hiver et passer derrière les vitraux, illuminant la pièce de motifs colorés, puis s'élever plus haut, éclairant ainsi la cour où les quelques paysans autorisés à entrer dans l'enceinte du palais impérial s'affairaient à couper du bois et à récolter les prises des collets qu'ils avaient posés la veille. Il avait pu constater que la chasse était bonne. Mais son esprit était bien loin de ces occupations quotidiennes qui accaparent le temps des petites gens de son peuple bien aimé.
Les hommes du pays d'Alderan n'avaient pas à se plaindre, au-delà de leur longévité naturelle qui pouvait les pousser à vive presque trois cents longues années, leur souverain les aimait profondément et l'empire était prospère. Même les plus pauvres jouissaient d'une certaine fortune, s'accordant de temps à autre des fantaisies. Des maisons de chair pour les hommes, avec des esclaves récupérées en butin des précédentes guerres pour hôtesses, exotiques, belles, et élevées en captivité telles des bêtes dans le seul but d'offrir une petite mort à tout homme qui s'aventurerait entre leurs cuisses. Des salons de soins pour les femmes, dans lesquels elles pouvaient en toute heure se rendre pour se faire laver, parfumer, maquiller, pour se détendre et se faire masser, et parfois, dans les plus cossus, s'offrir un homme, esclave et butin de guerre lui aussi, pour quelques heures, un homme qui s'occuperait de son seul plaisir et la laisserait ensuite repartir, épanouie et chancelante la plupart du temps. Des théâtres, des opéras, dans lesquels les acteurs et les actrices étaient considérés comme des êtres bénis par les esprits, à qui la nature avait offert un corps parfait, une voix divine, un visage magnifique. Chacun mangeait à sa faim et plus encore, chacun pouvait s'exprimer à sa guise, sans craindre de représailles, chacun pouvait posséder maison et terre sans risquer de s'en faire déposséder.
L'empereur savait que le peuple vivait dans un quotidien rythmé par les rires et les plaisirs, ponctué de chants et de musique. Mais il ignorait tout de ce qui se passait entre les murs du palais, dans ce même bureau qui l'oppressait aujourd'hui. Si les petites gens ne se doutaient de rien, la noblesse était, quand à elle, sur le qui-vive. Si la guerre avec les pays voisins, bien moins gâtés par la nature en termes de longévité, de force et de résistance, s'était soldée par une écrasante victoire, créant ainsi une alliance solide, un empire puissant, il restait un état qui l'inquiétait plus que tout. Le royaume des Féryans. Ces êtres insaisissables, retranchés sur une île de la taille d'un continent, entourés par un océan déchaîné. Rares, dans le camp de l'empereur, étaient les personnes à connaître les trois seuls chemins sûrs pour traverser ces tempêtes et ces vagues scélérates, et la dernière les avait quittés depuis un moment déjà. Cet homme, un vénérable qui avait connu les trois dernières guerres, avait passé le jour de son 327ème anniversaire au lit, affaibli par l'âge, le corps raboté par les combats et les conditions difficiles des premières lignes, l'esprit embrumé et torturé par des souvenirs de champs batailles, de tortures, de cadavres, les articulations et les doigts presque tordus par la douleur de la maladie qui lui rongeait les membres. Il s'était éteint le lendemain matin, n'ayant qu'à peine eu le temps de souffler quelques dernières douces paroles à sa femme avant de refermer les yeux à jamais. Il avait été son ami, son mentor, un père de substitution à la mort du précédent empereur alors qu'il n'était qu'un jeune enfant à peine capable de courir sans chuter. Et il s'était éteint.
La douleur de cette perte avait cloué Aymoric à son fauteuil, l'empêchant de parler pendant plusieurs heures, jusqu'à ce que son esprit accepte enfin cette information et ne l'autorise à verser les larmes qui lui broyaient jusque là la gorge. Il avait pleuré à s'en faire saigner les yeux après avoir congédié tous les domestiques de ses appartements, il avait hurlé sa peine, puis, après deux jours sans boire ni manger, s'était écroulé de fatigue. A son réveil, il ne s'était jamais senti aussi seul. Même la perte de sa mère, une femme qui n'était certes pas des plus aimantes mais l'avait tout de même soutenu jusqu'à sa mort, ne l'avait pas autant ébranlé. Et aujourd'hui, des mois plus tard, il prenait conscience que son mentor, ce père qu'il avait toujours aimé et dont il buvait les paroles, avait omis une dernière leçon. Comment traverser l'Océan des Perdus, car c'est ainsi que les Alderains le nommaient, sans perdre la vie ou l'esprit. Et il avait cruellement besoin de cette information pour envoyer dans ce pays maudit ses espions. Bien qu'il ait caché le pourquoi de ce projet à ses généraux qui, pour leur part s'étaient contenté d'imaginer une nouvelle conquête pleine de richesses et de nouveaux esclaves.
Il soupira, se sachant dans une impasse, et se laissa tomber dans son siège, devant le bureau en bois de rose qui trônait devant la large fenêtre de la pièce. Il avait envoyé ses meilleurs éclaireurs à la recherche d'une information, d'une piste, de peut-être un des derniers élus, un perdu, un oublié, qui pourrait lui donner un quelconque indice pour rejoindre les rives peu engageantes de Ferys, mais pour l'instant, aucun n'était revenu. Il prit dans ses mains pour la centième fois le mince registre des naissances, qu'il avait pris soin de collecter, retraçant les générations des élus, la connaissance ne se transmettant qu'au premier né d'une lignée, mais renonça à le relire. Une impasse. Il le savait bien. Machinalement, il fit tourner l'anneau d'argent raffiné et orné d'une pierre d'obsidienne qui ornait son majeur droit et fit tourner son fauteuil, orientant son regard sur la tour ouest du palais. Sa tour. Il vit Damian, le seul à part lui autorisé à y pénétrer, en sortir. Sa captive venait de finir son repas. Un mince sourire vint enfin relever les coins de ses lèvres quand il se rappela que, dans quelques jours à peine, elle aurait enfin vingt ans et qu'elle entrerait alors en période de fertilité pour les femmes de son espèce.
Il serait bientôt temps pour elle de faire réellement sa connaissance. Et de porter sa descendance.
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⸙ Faeria ؞ Fille de la Forêt ⸙
FantasíaMayna a passé toute sa vie entre les murs froids d'une cellule de pierre, avec Damian, un des serviteurs de l'empereur, pour seul contact avec le monde extérieur. Mais la requête de l'empereur la fera s'enfuir à toutes jambes, suivant son instinct q...