𝕮𝖍𝖆𝖕𝖎𝖙𝖗𝖊 50

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Mayna, choquée de son exploit, laissa sa bulle de douceur éclater et, avec elle, les éléments. Ils furent arrosés d'eau et de débris de terre, secoués par le vent, et projetés au sol l'un sur l'autre. D'abord surpris, ils finirent par rire aux éclats, tant de ce à quoi ils venaient d'assister que de leur état déplorable. Sales et trempés, ils ne ressemblaient plus à rien, si ce n'est à des tas de boue informes. Mayna fût la première à se relever, libérant Killian du poids de son corps qui ne lui pesait pas tant. Il se releva à son tour et l'attira à lui. Il l'embrassa rapidement sur le front et la serra dans ses bras.

« Tu vois, » murmura-t-il, « tu as réussi, finalement. »

S'il espérait la faire sourire, sa réaction fût toute autre. Elle s'éloigna rapidement se lui, croisant ses bras sur sa poitrine, et détourna le regard. Non, elle n'était pas fière d'elle. Plus que jamais, elle avait honte. Honte de lui avoir caché la raison de cet entraînement qu'elle s'était imposé, honte de lui demander trop... Honte de trahir ce qu'elle ressentait. Killian, qui percevait toujours ses pensées, se renfrogna et, fronçant les sourcils, lui parla plus durement qu'il ne l'aurait voulu.

« Qu'est-ce que tu prépares, au juste, pour t'en cacher ainsi ? »

« Rien de... »

« Si je mens mal, que dire de toi ? Tu caches quelque chose et c'est autrement plus sérieux qu'un souvenir douloureux. »

« Oui ! Oui je cache quelque chose. »

« Tu comptes... Non, tu comptes quitter l'île ? »

« Arrête de lire dans ma tête ! »

« Non mais c'est à moi que tu dis ça ? »

« Mais quel maudit poulet ! »

Elle avait hurlé ces mots en lançant les mains en l'air, ce qui eut pour effet de déclencher une violente bourrasque qui envoya voler Killian plusieurs mètres plus loin. Si elle avait voulu qu'il la laisse en paix, jamais elle n'avait voulu le blesser. Elle ne voulait pas le perdre mais elle était persuadée que jamais il n'accepterait qu'elle parte, en particulier pour sauver un humain. Elle tenta un pas dans sa direction mais il leva la main pour l'en empêcher. Pestant et grognant, il se releva difficilement. Il était envahi d'une sourde colère et craignait de la laisser éclater. Mais Mayna ne l'interpréta pas ainsi. Les larmes aux yeux, elle s'enfuit en courant, laissant derrière elle celui qui avait volé son âme.

S'enfermant dans sa chambre, elle s'effondra sur son lit. Son esprit, qui avait pourtant trouvé la paix entre les bras de cet homme impétueux, avait retrouvé un état de tempête semblable à celle qui entourait l'île des mages. Partagée entre le bonheur et la fureur, la honte et l'euphorie, elle se laissa néanmoins aller au chagrin. Quand elle eût fini de pleurer, elle s'assit en tailleur et, le visage rougi, s'accouda à la fenêtre. La plaine s'étendait sous ses yeux, grandiose et magnifique, sous le soleil de l'après-midi. Ce paysage lui manquerait certainement et, peut-être, si elle parvenait à installer Emelia dans un endroit sûr, reviendrait-elle d'elle-même. Relevant les yeux, elle se surprit à sourire. Devant elle, non loin de sa tour, volait un aigle majestueux au plumage d'or brillant sous le soleil. Killian tournait en rond devant sa chambre, ses vêtements soigneusement rangés dans son bec. Elle se souvenait de ce qu'elle avait ressenti en volant avec lui. Si elle avait cru quelques temps que rien ne surpasserait jamais cette expérience, elle avait compris aujourd'hui que la vérité était toute autre.

Une main sous le menton, pensive, elle le regardait voler. Il y avait tant de grâce dans le mouvement de ses ailes, tant de beauté et de fluidité dans ses gestes... Il était captivant. Il faudrait bien qu'elle lui parle un jour... Autant battre le fer à chaud. Elle savait qu'il la voyait. Il avait toujours un œil sur elle après tout. Elle se releva donc et ouvrit la fenêtre. S'adossant au battant grand ouvert, elle attendit. Son oiseau ne mit pas longtemps à comprendre le message, en deux battements d'aile, il était posé devant elle, accroché au bord de son balcon fleuri, dans un équilibre approximatif. Elle recula bien volontiers pour le laisser entrer. Au dernier moment, alors que ses plumes disparaissaient, elle se rappela qu'il était nu sous sa peau animale et se retourna vivement, plus rouge que les pivoines qui fleurissaient sa fenêtre. Killian, un fugace sourire moqueur aux lèvres, s'habilla en vitesse et l'attrapa par une épaule pour la tourner face à lui.

⸙ Faeria ؞ Fille de la Forêt ⸙Où les histoires vivent. Découvrez maintenant