Un invité pour manger

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-Je pense que sur cette scène, on pourrait modifier le fond pour y mettre quelque chose de plus percutant.

-Tu penses? Répondis-je à Thomas. Ca ferait un peu trop, non quieres? 

-Peut être, mais on veut que la séquence soit marquante. 

-Le mieux serait de tourner les deux, et on avisera au montage final pour voir lequel fonctionne le mieux. 

-Ca me va. Rétorqua mon fidèle acolyte. 

Cela faisait longtemps que je n'avais pas vu Thomas en personne. A vrai dire, je ne savais pas vraiment comment reprendre contact après ce que nous avions vécu ensemble, dans les mines d'Ar'henno. Là où nous avions failli mourir tous les deux, à cause des traditionalistes, certes, mais surtout à cause de ce dans quoi je l'avais entraîné. Je savais qu'il était le genre d'homme à apprécier le danger et l'aventure, ou bien il ne serait pas devenu mon caméraman et metteur en scène attitré, à venir se jeter avec moi dans des situations délicates et improbables pour en ramener les meilleurs images possibles. Pourtant, l'épisode de la mine avait été le plus marquant de notre carrière, et je savais qu'il ne serait pas aussi simple de s'en remettre que tout ce que nous avions pu vivre auparavant. Ca ne l'avait pas été pour moi, et je continuais à en faire des cauchemars. J'avais imaginé que ce devait être également son cas.

Pourtant, lorsque je l'avais contacté pour ce nouveau projet, diamétralement opposé au précédent sur lequel nous avions travaillé, il n'avait pas hésité une seconde avant d'accepter, et j'avais réalisé à quel point j'avais eu tort de douter de son courage. De nous deux, il était sans doute le plus tête brûlée, bien qu'il enfile toujours un masque de sagesse pour tenter de contenir mes excès - sans grand succès, bien évidemment. J'étais heureuse de le revoir, lui, ainsi que tout le reste de son équipe, qui était celle avec laquelle j'avais l'habitude de travailler. Sur le tournage de notre reportage, je me sentais ainsi à l'aise, comme un poisson dans l'eau, répétant des gestes que j'avais pratiqué mille fois au cours de tous nos tournages précédents. 

Je me plaçai au centre du plateau, face à la caméra. Le silence se fit. La voix de Thomas retentit d'un "eeeet action" retentissant, et je récitai mon texte avec fluidité et assurance, me déplaçant sur la scène au fil des mouvements de caméra, fixant l'objectif du regard pénétrant qui, je le savais, avait participé à mon succès en tant que journaliste d'investigation. Les heures s'écoulèrent, les prises s'enchaînèrent, les discussions animées au sujet du texte et des mises en scènes nous firent prendre du retard, que l'on parvint à rattraper in extremis avant la fin de la journée de tournage. Décidément, tout cela était comme une routine que je retrouvais après tant de mois à ne plus savoir où aller ou quoi faire, à errer comme une âme en peine privée d'objectif, de but, dont la vie semblait dépourvue de sens. C'était rassurant. Et chaleureux.

-Eeet fin de tournage pour aujourd'hui! S'exclama Thomas. Merci à tous, on se retrouve demain pour continuer. Marc, tu pourras déjà commencer le dérush, je sais qu'on attend la fin du tournage en général, mais il faudrait pouvoir sortir ce projet au plus vite. 

Le concerné hocha la tête avant de s'éloigner.

-Bon, je vais me faire démaquiller avant de rentrer. Précisai-je à mon ami.

-Pas de problème. Oh, Ester... ça te dirait, un petit verre ce soir?

J'hésitai en entendant cette proposition plus qu'alléchante. Je n'avais qu'une envie après cette épuisante journée, et c'était de retourner chez moi, de me jeter dans le canapé en profitant de l'odeur de la cuisine de Nokomis, avant de manger en discutant avec elle et de regarder un film à ses côtés, enroulée dans un plaid. Tels avaient été les soirées depuis qu'elle était revenue, et je m'étais rarement sentie aussi bien en compagnie de quelqu'un. Aussi... en sécurité. Un sensation de chaleur m'envahissait rien qu'à l'imaginer.

SauvagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant