Cha'na e pa'hri

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-Après vous, Mesdames. 

Le charmant petit bonhomme venait de nous ouvrir une porte magnifiquement ouvragée, et nous laissa pénétrer dans l'appartement. Je pris l'invitation à la lettre et entrai, suivie de près par Nokomis. Si j'en croyais les photos, le lieu n'était pas particulièrement haut placé selon mes standards de vie habituels, mais il convenait à nos besoins: nous avions besoin d'une base d'opération directement sur Paris, l'endroit où il fallait être quant on souhaitait avoir accès à des gens importants et faire de l'audiovisuel. Après mon séjour de presque un mois et demi à Ar'henno, à devoir m'adapter à la vie rustique et rude des suomen, privée de mes petits fours, de mes bains moussants, de mon sèche cheveux et d'une blanchisserie adaptée à ma garde robe, n'importe quoi aurait pu m'aller. Et, en effet, l'endroit se montrait à la hauteur des attentes que j'avais placées en lui, mais l'expression estomaquée de Nokomis me fit comprendre que, selon les siennes, c'était probablement très luxueux.

Situé dans un grand immeuble haussmannien, proche de tous les lieux dans lesquels j'avais besoin de me rendre, le loft était réparti sur deux étages, comportant une petite mezzanine là où, auparavant, s'était tenu l'étage supérieur et les chambres de bonne. La salle de vie était spacieuse et épurée, comme je les aimais, et une grande partie du mobilier était composé d'alliage de verre et des nuances de blanc ou de bois. Un pan de mur était couvert d'un support de bois sur lequel s'emmêlait un mur végétal artificiel, qui amenait fraicheur et couleur à la pièce, ouverte sur la cuisine et la salle à manger. Un petit balcon donnait sur le boulevard en contrebas, tandis qu'un escalier aux marches de verre s'enroulait autour d'un pilier pour accéder à la mezzanine, de laquelle partait un couloir déroulant sur plusieurs pièces. Il y avait également d'autres salles à l'étage principal, ce qui laissait suffisamment d'espace pour que la cohabitation avec la jeune suomen ne soit pas totalement invivable. 

Cohabitation, en effet. Mon plan avait convaincu Da-jee-ha bien plus rapidement que je ne l'avais prédis, et elle avait décidé de ne pas tarder un seul instant avant de débuter à le mettre en oeuvre, consciente que cela prendrait au bas mot des mois. J'aurai pu, alors, me rendre seule à Paris, afin de m'occuper seule de ce projet, et profiter de ma solitude pour réfléchir, puisqu'il me semblait que j'en avais grand besoin. Mais Da-jee-ha ne l'avait pas vu de cet oeil, et avait exigé que je sois toujours accompagnée de quelqu'un; elle craignait pour ma sécurité, et j'ignorai si c'était plus le gouvernement ou les traditionnalistes qui lui faisaient se ronger les sangs. Je sentis qu'elle se serait volontier portée volontaire pour être celle m'accompagnant, mais je ne pouvais pas lui imposer cela. Da-jee-ha avait à charge toute sa communauté, elle ne pouvait pas simplement s'amuser à venir jouer les assistantes et garde du corps pour moi, d'autant plus que cela aurait semblé très inapproprié de ma part après qu'elle m'ait accueillie comme une amie au sein de sa propre demeure pendant aussi longtemps. Enfin, il m'avait paru évident que la cheffe aux longs cheveux argentés n'était tout simplement pas faite pour la vie urbaine, outre sa maîtrise toute approximative du français. Je doutais qu'elle ait jamais vécu ailleurs que dans un village suomen, en dehors peut être de son temps à l'armée, où elle avait dû être confinée dans les casernes où les jeunes de son peuple étaient en général entrainés, à part des recrues françaises "classiques". Da-jee-ha ne pouvait pas m'accompagner, et aucun autre guerrier d'Ar'henno ne semblait remplir les conditions que leur cheffe n'avait pas pu cocher. Da-jee-ha avait alors proposé de faire appel à quelques unes de ses propres connaissances, mais je ne me sentais pas à l'aise à l'idée de partager mon environnement pendant des mois avec de parfaits inconnus, sans compter que le choix récent de Moh'lag comme représentante des suomen avait ébranlé la confiance que je pouvais accorder sans arrière pensée à toutes les personnes que mon amie aurait pu me présenter.

Ne restait donc que Nokomis, et, à vrai dire, malgré l'entente peu cordiale qui régnait entre nous, cela me convenait toujours plus qu'un ou une inconnu. C'était un visage familier, qui savait se montrer honnête quand c'était nécessaire, malgré son hostilité, et, surtout, cela me permettait de garder un oeil sur elle. Je n'avais pas oublié ma promesse, après tout, et avoir Nokomis sous la main était le meilleur moyen d'être sûre que Moh'lag ne lui retournait pas le cerveau avec quelques idéologies nauséabondes - bien que Nokomis semblait les avoir en aussi haute estime que celles d'Hen'Ruay, ce qui signifiait en bien peu. La partie la plus délicate avait été, bien évidemment, de convaincre la principale concernée de m'accompagner, moi, la "kowo" comme elle aimait m'appeler, en pleine ville, remplie de millions d'autres kowos, pour accomplir un projet qu'elle jugeait imbécile, puéril et voué à l'échec. La partie n'était donc pas gagnée d'avance... mais les arguments de Da-jee-ha avaient été efficaces, notamment celui concernant la responsabilité qu'elle avait envers sa grand mère. Etre à Paris lui permettrait de choisir de tenter une autre méthode, plus directe, si elle le désirait, puisque c'était là que la dépouille avait été inhumée. Mais je crois que l'argument le plus efficace fut celui de pouvoir observer mon échec en direct, si échouer je devais, et je crains encore à ce jour que ce dernier point fut celui qui la convainquit de partir. 

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