Da-jee-ha

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J'étais escortée, encore tremblante dans ma robe sale et déchirée, par le petit groupe au coeur de la forêt. Malgré l'obscurité qui lui donnait un aspect mystérieux voir menaçant, je me sentais en sécurité, à respirer enfin l'air libre, à profiter du vent dans mes cheveux, à ressentir la douceur du sol moussu sous mes pieds nus... la nature entière semblait m'accueillir, me réconforter à la suite de l'épreuve que je venais de traverser. Je n'avais qu'une envie, m'écrouler au pied d'un de ces anciens troncs et dormir jusqu'à la fin des temps, mais mes accompagnants ne m'auraient sans doute pas laissée faire. Mes yeux fatigués tentaient d'observer discrètement mon escorte silencieuse. Ils avaient la peau très pâle et les cheveux clairs si propre à leur ethnie, mais également des visages fermés et intimidants malgré leur traits en général si fins. Les Suomens qui m'encadraient n'étaient pour la plupart pas vêtus des peaux, cuirs et lins que je les avais vu porter durant l'Ayl'Dee Khobon, ou autour du feu sacrificiel, bien que certains le soient. De même, ils ne portaient pas les tatouages faciaux si effrayants que j'avais vu autour du feu, dansant sur les visages de mes bourreaux et de leur rire sous la lueur rougeoyante des flammes qui m'asséchaient la peau du visage. Cependant, on pouvait apercevoir ça et là la marque d'un tatouage dépassant d'un t-shirt ou d'un pantalon, au niveau du cou, des bras, ou des jambes. S'ils n'étaient pas visibles, il semblait pourtant que mon escorte ne dérogeait pas à la tradition des tatouages, ni à celle des oreilles percées de multiples boucles, anneaux et piercings en tout genre, qui n'épargnaient pas un seul de mes accompagnants mornes et silencieux. Je remarquai également que pas un seul des hommes et des femmes m'entourant n'était désarmé. Arc, couteau, machette, épée, hache, il y en avait pour tous les goûts, mais c'était une constante qui, bien loin de me rassurer, me fit me recroqueviller un peu plus.

J'étais terrassée de faim, de fatigue et de douleur. Chaque pas était une nouvelle aiguille enfoncée dans ma chair endolorie, chaque mouvement était une nouvelle torture que je devais endurer. Pourtant, malgré la douleur, malgré mon escorte sinistre, quelque peu atténuée par la présence du sourire rassurant de Hen'Ruay en tête, je me sentais... libérée. La peur me tordait toujours le ventre, mais la beauté du ciel nocturne s'étendant au-dessus de ma tête suffisait à me redonner du baume au cœur. La douceur de l'air pur extérieur, la caresse du vent dans mes cheveux, le toucher agréable de la mousse et de l'herbe sous mes pieds, toutes ces sensations que j'avais crains d'avoir perdues à tout jamais, enfermée à des dizaines de mètres sous terre, faisaient naître en moi un sentiment de gratitude à l'égard de l'univers entier, une sensation toute nouvelle à vrai dire, puisqu'à l'époque, j'étais bien plus du genre à croire le monde entier pourri jusqu'à la moelle.

L'escorte n'avançait pas très vite, calant son rythme de marche sur le mien. Il était évident que tous les guerriers m'entourant n'avaient pas pour habitude de trainer autant, et se retenaient de me laisser sur place. Cependant, alors que la nuit sans lune se déroulait peu à peu, nous arrivâmes à l'embouchure d'une vallée, ou siégeait un petit village, à l'abri sous un piton rocheux au creux des montagnes et de la forêt.  Notre troupe s'y dirigea et pénétra dans le petit bourg, qui ressemblait à n'importe quel village de montagne que j'avais pu voir dans ma vie, avec ses rues étroites, ses petits commerces fermés pour la nuit, et ses grands chalets tout de bois. Une particularité me sauta tout de même aux yeux : l'absence totale d'éclairage. Et pas simplement de l'éclairage public, mais également dans les maisons, dont chaque ouverture était aussi obscure que la nuit. Cela donnait à l'endroit une ambiance de village abandonné. Pourtant, les gravures stylisées ornant les poutres des maisons, et l'autel que nous dépassâmes sur la place principale, ne laissèrent pas de doute sur le fait que je me trouvais bien dans un bourg peuplé en grande partie, sinon uniquement, de Suomens.

L'escorte se dispersa dans le village, me laissant seule en compagnie de Skarumi Hen'Ruay qui alla à la rencontre de deux guerrières, à l'allure farouche dans leur long pantalon militaire et leur haut ample, qui semblaient nous attendre de pied ferme sur la place. L'une me toisa longuement de ses yeux gris. Elle sembla me jauger quelques instants de son regard impénétrable, avant de jeter un coup d'oeil courroucé à Hen'Ruay, puis de prononcer haut et fort quelques mots en Suomen, dont je ne compris évidemment rien du tout.

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