Echange Nocturne

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Un léger courant d'air me fit frémir de froid, et je resserrais les pans de mon manteau pour tenter de garder la chaleur. La main de Nokomis se posant sur ma hanche, dans la pénombre, comme pour me communiquer sa propre température corporelle. Il ne faisait pas non plus glacial, mais l'air était très clairement plus frais ici, en altitude, quand dans le bassin parisien. Les ombres des pins se découpaient sur un ciel nocturne parsemé d'étoiles, me rappelant les longues soirées passées à Ar'henno l'été précédent, quand les températures permettaient encore de profiter de la beauté nocturne offerte par les Alpes. 

Nous attendions, silencieusement. Nokomis était tendue et excitée, je le sentais. Pour ma part, j'étais plutôt effrayée. Nous ne nous étions pas retrouvées en plein cœur des terres suomen par pur plaisir, ou en tant que touristes, d'autant que nous étions bien loin d'Ar'henno. Nous y étions venues pour rencontrer quelqu'un. Quelqu'un qui avait, peut être, le pouvoir de nous indiquer le lieu où se terrait Hadès. Quelqu'un qui pouvait enfin permettre de mettre un terme à toute cette folie. Mais également quelqu'un dont j'étais absolument terrifiée, malgré la présence de Nokomis à mes côtés. Car ce quelqu'un avait été l'image de la mort dès le début de toute cette histoire. 

Un léger grognement retentit, que Nokomis fit taire en assénant un coup de pied dans le ventre de l'homme qui gisait sur la terre humide de la clairière, saucissonné de manière à ne prendre aucun risque. L'homme aux sourcils broussailleux. Celui engagé par mon ex-mari pour enquêter sur moi, celui qui avait été l'intermédiaire de Lange, la clef de notre résolution du massacre de Ten Mak'ol. Grimaud était bien amoché. Il avait opéré à une certaine résistance, lorsque Sang, Santoni et Nokomis l'avaient débusqué pour le ramener ici, sans particulièrement le ménager. Les révélations de Marc Lange avaient été enregistrées, après tout. La police n'allait pas tarder à venir arrêter l'homme. Et Nokomis avait décidé depuis bien longtemps que les acteurs du massacre qui avait chamboulé sa vie ne seraient pas jugés par une autre loi que celle des suomen, un sort que je n'enviais pas à Grimaud, sans être pour autant capable de le prendre en pitié. De là, nous avions roulé directement vers les Alpes, où Nokomis avait organisé la suite des opérations. Car, malgré son désir de vengeance, son envie de frapper nuit et jour le receleur jusqu'à ce qu'il crache le nom de ses clients, elle comprenait que nous avions besoin de lui pour une chose - et ce ne fut qu'après un âpre débat avec Santoni qu'elle avait accepté de repousser l'échéance de sa vengeance. Le Corse voulait mettre la main sur Hadès. Nokomis voulait se venger du massacre de Ten Mak'ol. Hors, qui d'autre que ceux qui l'avaient aidé à s'échapper pouvaient savoir où se terrait le maître de l'Epaggelia? 

Nous avions rendez vous avec les Traditionalistes. Et je savais que, parmi eux, se trouverait Tor'neh. Le frère de Nokomis. Celui là même qui avait tenu, l'espace d'un instant, le sort de ma vie entre ses mains. Son regard empli de haine et de dédain emplissait encore mes pires cauchemars. Mais nous avions besoin de prouver les liens entre l'Epaggelia et Ten Mak'ol pour que les Traditionalistes lâchent définitivement leur alliance contre nature. Du moins... c'était notre espoir. 

Un mouvement attira mon attention. Un petit groupe de suomen pénétra dans la clairière, surgissant des couverts du bois comme s'ils en avaient été une partie intégrante. Je frissonnai. La main de Nokomis sur ma hanche se resserra, comme pour me transmettre son courage. Et j'en eu grand besoin lorsque je reconnus la carrure imposante de Tor'neh, lorsque j'entrevis son visage recouvert de tatouages et ses yeux bleus perçants. Ils étaient cinq, et nous seulement deux, avec Grimaud comme seule offrande. Santoni et Sang n'étaient pas loin, dans la voiture, mais Nokomis leur avait demander de se tenir à l'écart. Nous n'avions pas tenu Da-jee-ha au courant de notre escapade, et elle devait retourner ciel et terre pour nous retrouver. Elle ne nous aurait jamais laissées aller au devant des Traditionalistes de nous même, et sa présence aurait rendu toute discussion impossible, les Taa Kangow'a la considérant toujours comme responsable de la mort de Moh'lag. Peut être notre intervention allait-elle permettre de changer cela... 

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