Fuite Révélatrice

682 81 4
                                    

Les vibrations de la route me berçaient lentement par leur morne monotonie, tandis que je restai immobile, prostrée sur la place passager de la voiture d'Hen'Ruay. La route défilai à travers les fenêtres. Au delà de l'autoroute et des voitures que nous dépassions, la nature, chaude, vibrante de vie et de verdure, qui échappait à mes yeux à peine ceux ci avaient pu prendre connaissance de sa magnificence. Je voulais m'y raccrocher, pourtant, comme une naufragée tentant de s'agripper au tronc flottant qui peut décider de sa survie. Mais les arbres ignoraient mes supplications, ma souffrance, le sentiment de trahison qui me déchirait de l'intérieur. Il me semblait un peu mieux comprendre cette idée de dieu omniprésent et indifférent, qui semblait si chère aux Suomens. Après tout, la nature est bien indifférente à toutes nos difficultés, à tous nos combats et nos trahisons. Elles reste, immortelle et immuable, tandis que nous passons, les uns après les autres. Ma mère, et ma famille en général, en bons catholiques de l'aristocratie espagnole, m'avait toujours enseigné que Dieu n'était qu'amour, qu'il tenait à chacun de nous, et que les épreuves qu'il nous envoyait n'étaient qu'obstacle à franchir pour atteindre le paradis.

C'était rassurant, certes. Mais également naïf. Quel père aimant ferait volontairement souffrir ses enfants pour savoir s'ils lui sont fidèles? Probablement un père comme le mien, et le mien n'était pas aimant, simplement obsédé par le contrôle et effrayé à l'idée de ne plus avoir d'influence sur ceux qu'il avait mis au monde. Le dieu des Suomen, lui, était effrayant. Il semblait capable de nous laisser mourir sans flancher, d'ignorer notre souffrance, de rester muet à nos prières. Il n'était pas là pour tenter de faire croire que la vie était simple, ou qu'elle avait un sens. Il révélait simplement la vérité que chacun cherche à fuir du plus profond de son âme: que notre existence personnelle n'a aucune influence sur ce monde. Que toutes nos difficultés ne sont que des luttes vaines et égoïstes. Et que, à l'échelle de l'immensité de ce monde, il serait futile de considérer ces difficultés comme importantes. Le dieu Suomen ne rassurait pas; il relativisait. Il rappelait que, même quand tout semblait terminé, quand on avait atteint le fond du trou, le monde continuait tout de même de tourner.

D'une certaine manière, j'enviais ceux qui pouvaient croire en ce dieu. Mais de ma position, tout ce que je ressentais, c'est un abandon profond. J'ignorais si le dieu des suomens existait réellement. Mais j'était persuadée que celui des chrétiens, s'il existait, se fichait bien de nous. S'il était aussi puissant, comment pouvait il permettre autant d'horreurs? Comment pouvait il permettre que ses enfants qu'il aimait tant s'entretuent, de torturent, se trompent et se violent depuis l'aube des temps? Au nom de la liberté qu'il leur aurait donné? Ou bien pour le simple plaisir de les faire chanter, et de les punir une fois que leurs actes avaient déjà répandu toute la souffrance sur la terre? Je ne savais pas. Je ne savais plus. Mais je croyais ne plus vouloir savoir. Alors, j'observai la création défiler le long de l'autoroute, arbre après arbre, sous un ciel d'un bleu azur.

Oui... quel magnifique temps. Comme si le monde continuait de tourner, tandis que le miens s'effondrait.

Dans mon sac, posé entre mes jambes, mon téléphone ne cessait de vibrer, rappelant à mon esprit blessé que, au bout du fil, Julian tentait sans doute de m'appeler, de s'expliquer, de s'excuser, de s'inventer des complots et des mensonges que je ne voulais pas entendre. Chaque vibration semblait se répercuter dans mon coeur bien plus fort que celles des roues sur le macadam. Je tressaillais à chaque nouvel appel, et respirais à chaque arrêt des sonneries, laissées sans réponses. Je voulais tendre la main, la plonger au plus profond de mon sac pour y enterrer cet outil du démon, qui ne voulait pas me laisser en paix. Mais j'avais trop peur de bouger, peur que, si je lâchais un seul instant les arbres des yeux, ils disparaitraient à tout jamais.

-Donne moi ce téléphone. Grommela Hen'Ruay.

-Pardon?

-Ce téléphone qui vibre depuis tout à l'heure. Donne le moi.

SauvagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant