Foyer

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Quand je sorti de la douche, l'impression désagréable qui me collait à la peau n'avait pas disparu. Je me sentais sale, pourrie jusqu'à la moelle, comme s'il me fallait gratter chaque cellule de ma peau pour me débarrasser de toute surface ayant été en contact avec cet homme que je me refusais à nommer. Mais, pire que cela désormais, une étrange sensation de vide habitait le bas de mon ventre, que je caressai d'un mouvement machinal toutes les cinq minutes. Peut être espérai-je y trouver encore quelque chose? Une once de vie, initiée par la tromperie, mais qui n'avait finalement pas eu d'autre choix?

Cette vie, elle avait disparu quelques heures plus tôt, dans la clinique où Hen'Ruay m'avait amenée. Sous la peau que je caressai, au coeur de mes entrailles, dans l'utérus malheureusement fécond qu'était le mien, il n'y avait plus ni embryon, ni cellule oeuf, ni trace des sévices inconscients qui m'avaient été imposés. La petite lueur de vie qui s'était illuminée dans les ténèbres de ma vie qui s'écroulait avait également disparu. Et je savais que c'était la chose à faire. Je savais que je n'aurai pu regarder cet enfant grandir auprès de moi, avec son visage, son nez, ses yeux, sa voix, peut être. Peut être, même, sa simple existence m'aurait-elle ramenée à la villa, peut être n'aurait-il été que la dernière chaîne me reliant à ce lieu, à ces années de vie conjugale, le dernier lien incassable qui aurait été jeté en travers de ma liberté. Qu'aurai-je dû faire? Qu'aurai-je pu faire d'autre? Garder cet enfant? Respecter son droit à la vie, tout en sachant tout le dégout que son existence m'inspirait? Toute la souffrance que sa création m'infligeait? Aurai-je seulement pu aimer cet enfant?

Toutes ces questions tourbillonnaient dans ma tête. Elle vrillaient mes tympans, flouaient mon jugement, faisaient larmoyer mes yeux. Je ne savais pas si j'aurai été capable d'aimer cet enfant. Je savais que j'aurai essayé de le faire, tout du moins. Mais en cet instant précis, dans ce minuscule appartement d'une barre d'immeuble en banlieue, où s'entassaient plusieurs familles Suomen, je n'avais qu'une seule certitude: je me sentais coupable.

C'était une terrible culpabilité, profondément enracinée dans mes croyances profondes en le droit à la vie. Comme de nombreuses femmes, je m'étais toujours dite pour l'avortement, malgré les positions bien plus discutables de ma famille à ce sujet, leur catholicisme profondément ancré dans l'aristocratie espagnole y jouant beaucoup. Mais j'avais également dit des phrases plus dures vis à vis de cette pratique. Des mots condamnant des femmes jugées plus aptes à se faire avorter qu'à utiliser des méthodes de contraception, des femmes qui auraient pu avoir des abonnements à la clinique, et le rejet de ces comportements qui ne devaient pas être le but de l'existence de l'avortement.

J'avais prononcé ces mots... je les avait dit, de ma bouche, et cette simple idée me révulsait désormais. Comment pouvait-on imaginer un seul instant vouloir se faire avorter régulièrement? Comment pouvait-on un seul instant imaginer des femmes préférant cette voie à celle de la simple contraception, quels que soient ses effets secondaires? Comment pouvait-on supporter cette sensation qui m'oppressait? Comment s'y habituer? Comme t pouvait-on imaginer que cet acte était une sorte de décision que l'on pouvait prendre sur un coup de tête puis oublier dès le lendemain?

C'était faux, tout simplement. Faux, faux, faux! Ce n'était pas simplement une petite opération. J'avais l'impression que l'on m'avait arraché une partie vitale de mon être, une partie qui plus jamais ne pourrait repousser. Et je savais que c'était nécessaire... mais cela ne faisait pas pour autant disparaître la nausée qui me saisissait, bien différente de celle que j'avais eu jusque là.

Dans la petite cuisine, qui servait également de salle à manger, deux personnes s'affairaient à la préparation d'un plat dont la douce odeur me remonta à peine le moral. Assise à la grande table occupant presque tout l'espace, Hen'Ruay m'observa approcher avec un regard attendri. Un regard presque maternel. Elle ne me dit rien, et je sais que, malgré toutes nos différences, elle me comprenait. Elle était capable de se mettre à ma place, de réaliser la situation dans laquelle j'étais. Ce n'étais pas de la pitié, simplement une puissante empathie qui la liait profondément à moi.

SauvagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant