Piste du passé

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Lorsque je vins m'asseoir à la table de Thomas, lors de la pause de midi le lendemain matin, il n'eut pas besoin de me poser de question pour savoir que quelque chose s'était mal passé.

-Il ne nous lâche pas, quand même? Demanda-t-il, une certaine tension dans la voix.

-Pas pour le moment. Grognai-je. Mais les menaces étaient à peine voilées. Il est possible qu'il veuille passer derrière les monteurs pour remodeler le tout.

-Quoi? Il ne nous a jamais fait ça!

-Christophe n'a pas semblé particulièrement motivé à l'idée de notre reportage depuis le départ. Il n'aura pas besoin que beaucoup de ses "amis" lui demandent pour nous mettre la pression. 

Je fulminai. Le lendemain même de la visite impromptue de Julian, j'avais été convoquée dans le bureau de Christophe, notre producteur, qui avait gentiment laissé sous entendre que le contenu du reportage ne lui plaisait pas, et que si nous ne retirions pas certains passages, il s'occuperait lui même du montage final. La menace qui avait plané au dessus de nos têtes depuis le début de l'aventure devenait soudain bien plus matérielle, bien plus présente. Et si jamais la réalité de notre enlèvement venait à venir à ses oreilles... car je n'avais pas le moindre doute qu'il s'agissait de l'œuvre de Julian. Je serrai le poing, maudissant mon impuissance. Nous avions besoin de la chaîne pour son processus de production. J'aurai pu payer moi même les équipes, bien sûr, mais à quoi bon si nous n'étions pas diffusés? Poster le tout sur internet? Mais c'était un monde bien distinct de la télévision, et que je ne connaissais probablement pas assez pour m'y essayer avec succès - et le succès de l'opération était nécessaire. La dépouille d'Hen'Ruay ne pouvait pas pourrir indéfiniment dans son cercueil. Le principal problème avec internet, c'est que cela n'accordait que peu de crédibilité à notre propos. Des milliers d'illustres inconnus reprochaient déjà tout ce dont nous parlions au gouvernement chaque jour sur les réseaux sociaux. Je ne créais pas un combat: je voulais l'amener dans les hautes sphères du pouvoir. Poster sur internet serait la preuve de l'échec de cet objectif.

-Joder! M'exclamai-je. Ne peuvent-ils pas simplement tous nous laisser en paix? Dire que le tournage est si avancé...

-Vois le bon côté des choses. Répondit Thomas. Nous aurons bientôt fini le tournage en studio, et nous n'avons pas besoin de Christophe pour le montage. 

-Ce n'est pas juste une question de tournage, Thomas. Rétorquai-je avec agacement. Et tu le sais. 

-Oui. Oui, bien sûr. Marmonna-t-il.

-Pour l'instant, continuons comme si de rien n'était. Dis-je. Je l'ai de toute manière prévenu que s'il tentait de nous imposer cela, nous irions à la concurrence. Mais j'ignore combien de temps la concurrence restera ouverte sans nous demander de modifier le montage final...

Tout partait à vau l'eau. Il fallait que je tente de diriger notre navire loin de la tempête qui s'approchait, mais celle-ci semblait se refermer de toute part. 


***


Lorsque je reçu son message, je bondis de ma chaise, et prévenais Nokomis que je ne pouvais pas venir courir le soir même. Santoni m'avait enfin recontactée, et je n'étais que trop pressée de venir lui jeter à la figure son échec et son retard. Le client mystérieux était venu à moi avant même qu'il me fasse son premier rapport, autant dire qu'il n'avait pas été d'une grande utilité. Mais, tant que j'y étais, j'allais tout de même tenter de me servir de lui pour mettre fin à l'enquête de l'homme de Julian. Si au moins la question de l'enlèvement et des tortures qui avaient ensuivies pouvaient rester cachées... mais plus le temps passait, puis je venais à en douter. 

SauvagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant