Maudite

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Je m'étirai longuement en m'extirpant des épais draps de laines de ma couche. Le soleil commençait à peine à percer la pénombre matinale, les hauts pics alpins ne laissant passer que quelques timides rayons au delà de leurs cimes lointaines. La fraicheur nocturne commençait seulement à se dissiper, et je frissonnai en rampant de nouveau à l'abris de ma couette, bien au chaud. Les demeures suomen n'étaient pas des modèles d'isolation thermique, avec leurs nombreuses ouvertures dont la plupart ne comportaient ni verre ni autre matière translucide. Ils aimaient visiblement que leur intérieur ne soit pas totalement séparé de l'extérieur, probablement. J'avais participé à des reportages en Afrique ou dans des îles, où les habitants avaient également un rapport bien plus proches à l'extérieur que nos cultures occidentales, et c'était peut être le cas, en un sens, pour les suomen, qui semblaient passer bien peu de temps en intérieur. Je me demandais tout de même comment survivaient-ils en hiver, alors que la vallée devait être couverte de pas moins de cinquante centimètres de neige minimum. Avaient-ils un moyen de combler ces ouvertures? Comment gardaient-ils la chaleur, dans des demeures aussi ouvertes que les leurs, qui ne comportaient qu'une unique et immense pièce? Tant de questions qui me taraudaient, mais que j'oubliais aussi vite qu'elles étaient venues lorsqu'une nouvelle source d'interrogation apparaissait.

Cela faisait maintenant deux semaines que ma confrontation avec Nokomis avait eu lieu, et qu'elle m'avait présenté ses excuses tout en semblant s'ouvrir un peu. Depuis, ses mauvais tours étaient devenus moins fréquents et, si on ne pouvait pas dire que nous appréciions la compagnie de l'autre, force était de constater que nous nous supportions. 

J'avais décidé d'aider du mieux possible la petite communauté - nommée Ar'henno-, afin de justifier ma présence et de tenter de donner tort à tous les regards mauvais que j'avais pu recevoir. Da-jee-ha avait tout d'abord refusé, car j'étais son invitée, et elle refusait de me laisser travailler - mais j'avais réussi, tout de même, à passer outre sa figure d'autorité, et m'étais ainsi retrouvée à aider dans les champs. J'avais, auparavant, eu l'image des suomen comme celui d'un peuple nomade que l'agriculture révulsait, ne vivant que de chasse, de pêche et occasionnellement d'élevage. N'ayant pas grandi en France mais en Espagne, mes connaissances sur ce peuple étaient donc d'autant plus parcellaires qu'il n'y avait qu'une minuscule communauté vivant dans les pyrénéens. Mais je dus constater que, après l'aspect nomadique, disparu très rapidement de mon esprit en ayant vu les villages suomen, l'aspect non agraire était également bien mis à mal. Le village était organisé autour de la place centrale, avec, tout autour, des maisons éparses et, entres elles, champs et potager, cultivés en communauté par tous les habitants. C'était étrange que de voir ces champs au cœur même du village, tandis que, tout autour, c'était la dense forêt de pins, inaltérées par l'activité agraire. Mon intuition m'aurait poussée à développer les champs autour du village, et non à l'intérieur, mais les suomen semblaient voir les choses autrement. 

Je compris également que, si Da-jee-ha avait tenté de me laisser à part du travail des champs, c'était peut être aussi par considération pour ma santé personnelle, car après seulement une journée à retourner la terre, arroser et repiquer, j'étais à la fois terrassée de fatigue et de douleur. Je tentais du mieux possible de ne pas laisser paraître mon trouble aux habitants qui avaient accepté de me laisser travailler avec eux, mais leurs regards amusés en disaient long. J'étais une citadine, et en plus une femme de la haute noblesse espagnole. Je n'avais jamais eu à travailler pour vivre, c'était simplement quelque chose que j'avais choisi de faire pour que ma vie ait un sens. Et le métier que j'avais choisi n'avait rien de physique, puisqu'il reposait uniquement sur mes capacités de réflexion, de déduction et sur le charisme qui permettait, ou non, d'obtenir certaines informations ou l'accès à tel ou tel lieux. Je ne me considérai pas pour autant comme une personne non sportive: je faisais du jogging, j'avais un coach personnel du nom de Martin qui venait deux fois par semaine me guider dans mes exercices, chez moi. Mais l'exercice du travail dans les champs venait de remettre tout en question dans ma manière d'appréhender l'exercice physique. Il était évident que je n'y étais pas vraiment adaptée - mais cela eut également l'effet de me motiver à m'impliquer encore plus. Maintenant que j'avais conscience de la charge de travail que représentait le fait de fournir en nourriture la communauté, je refusais de paraître comme un parasite se nourrissant sur ces réserves sans rien faire en retour. 

SauvagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant