Un sentiment de malaise se mêlait à mon excitation lorsque la voiture d'Hen'Ruay se gara. Le véhicule était plein à craquer; chaque place assise était prise, et banderoles et matériel avaient été entassés dans le coffre ou, à défaut de place, sur les genoux des voyageurs. L'ambiance était déjà enfiévrée, bien que je sois incapable de comprendre la majeure partie des discussions qui fusaient autour de moi. Les quelques autres voitures qui avaient quitté le quartier suomen à notre suite n'étaient pas loin derrière nous, et une foule déjà importante était amassée sur le lieu de départ de la manifestation. Les portières s'ouvrirent, et, soudain, le bruit de la foule me frappa de plein fouet. C'était un brouhaha indescriptible qui semblait venir de toute part, et qui brouillait tout mes sens. Les couleurs, la musique, les cris, les tenues traditionnelles et plus classiques, c'était un mélange de tant de choses inconnues que j'en eu la tête qui tourne. Il était très clair que la majorité des personnes rassemblées n'étaient pas Suomen, mais je n'avais jamais vu en pleine ville un rassemblement avec autant de ces cheveux roux ou blond platine, de ces multiples boucles aux oreilles, de ces tatouages et de ces yeux d'un bleu acier si particulier et spécifique. Des banderoles aux messages percutants flottaient déjà dans les cieux, au dessus de la foule, tandis que plusieurs groupes semblaient pratiquer des ateliers danse ou peinture corporelle pour les badauds. À première vue, on aurait pu croire à une grande fête.
Mais je suis journaliste. Je ne m'arrête pas à l'apparence extérieure et aux sourires de façade. Car il suffisait de faire un peu attention, de scruter les visages fermés, pour remarquer les regards sombres, les attitudes défensives, les attitudes hostiles à l'égard des fêtards. Pour apercevoir les masques de piscines et les fioles de sérum physiologique. Pour certains, il s'agissait probablement simplement d'une occasion de se retrouver. Mais pour beaucoup, la présence en ces lieux n'avait rien d'un amusement. Elle représentait une dernière chance.
-Alors? Me demanda Hen'Ruay en venant se placer à mes côtés.
-L'ambiance est tendue. Dis-je simplement.
-Heureuse que tu l'ai remarqué. C'est peut être notre dernière chance d'éviter un bain de sang.
La conversation que j'avais entendu la veille me revint à l'esprit. Je n'hésitai qu'un court instant avant de répondre.
-Où alors l'occasion d'en offrir un.
Hen'Ruay me fixa avec ses yeux pénétrants, que je soutins sans la moindre difficulté.
-Vous avez oublié de me préciser que vos amis traditionalistes seraient peut être de la partie, je me trompe?
Hen'Ruay eut un rictus de contrariété. Apparemment, il n'était pas prévu que je sois au courant de ce détail.
-Ils n'oseront pas. Martela-t-elle. Ils sont radicaux, mais pas stupides. La manifestation est déjà sous haute tension, et les autorités savent qu'il y a des risques de violence. Si les traditionalistes décident de venir faire du grabuge, ils seront les premiers à en souffrir.
Je fixais Hen'Ruay un long moment, me demandant si elle pensait vraiment ce qu'elle disait. Je n'étais probablement pas la mieux placée pour comprendre la politique suomen, mais son point de vue me semblait extrêmement idéaliste. Les traditionalistes n'avaient pas vraiment hésité à m'enlever et à tenter de me tuer. Il me semblait difficile de croire qu'ils ne profiteraient pas d'une occasion comme celle-ci pour semer la discorde. Je voulu faire part de ces reflexion à la vieille femme, mais elle ne m'en laissa pas vraiment le temps.
-Viens, Ester. Nous avons une place en tête du cortège.
-En... tête?
-Bien sûr. Je suis la meneuse du mouvement, après tout. Et toi, ta simple présence ici servira plus que tous les mots du monde.
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Sauvages
RomanceIls étaient là avant, alors ils ont été conquis. Ils refusaient de se soumettre, alors ils ont été chassés. Ils étaient différents, alors ils se sont battus pour le rester. Pour nous, ils semblent être des barbares surgis d'un autre âge, refusant la...