Un grondement sourd résonnait dans la noirceur de la nuit, dont seule la lune venait nuancer l'opacité par sa douce lueur argentée. La lune, bien sûr, mais également la lumière dansante des flammes et des torches qui projetaient sur les immenses formations rocheuses entourant la cuvette de terrifiantes silhouettes fantomatiques dont la danse guerrière était aussi captivante qu'inquiétante. Le grondement était un mélange particulier de la chute des lourdes cascades sur les rochers en contrebas, toutes proches, des roulements incessants de tambours frappés frénétiquement par une troupe invisible, et des chants gutturaux d'une chorale tout aussi invisible. A cela, s'ajoutaient des clameurs, des cris, des bêlements, des hurlement de cornes à la tonalité si grave que les cheveux s'en hérissaient, et le cœur se mettait à battre frénétiquement.
Mon cœur.
Je pris une longue inspiration, et jeta un coup d'oeil par dessus mon épaule, là où Thomas se tenait, recroquevillé, comme moi, entre deux rochers, une peau de bête jetée en travers de ses larges épaules.
-Tu es sûre qu'on va faire ça... murmure-t-il si légèrement que le son de sa voix m'est quasiment inaudible dans le vacarme résonnant depuis le lointain, au coeur de la vallée.
-Oui. Nous n'aurons jamais de meilleure occasion. Tiens t'en à tout ce dont nous avons parlé, et tout se passera bien.
-J'aimerai te croire, mais sur ce coup là, j'ai de gros doutes...
-Arrête un peu... nous avons fait bien pire que nous infiltrer dans une fête païenne. Tu ne t'es pas plains de la sorte au Mexique.
-Au moins, les barons de la drogue sont des gens que je peux comprendre. Grinça-t-il. Ils parlent espagnol, aiment l'argent et le pouvoir, les belles voiture et la coke. Et on savait ce qu'on risquait!
-Et nous sommes venus ici pour découvrir ce que l'on risque à laisser ce genre de démonstration avoir lieu! Rétorquai-je. On en a déjà parlé, et ce n'est pas le moment de se dégonfler! C'est pour ça qu'on fait ce métier, joder!
Thomas grimaça, et réajusta sa tunique de cuir et la peau qui lui couvrait les épaules. Son visage était également couvert d'un tatouage tribal qui partirait après quelques semaines, mais qui faisait partie intégrante du réalisme nécessaire à la réussite de notre opération. Pour ma part, je vérifiai que ma longue tresse était bien faite, que la fourrure qui s'enroulait autour de mon torse était correctement mise, et que la caméra qu'elle dissimulait tournait bien. Puis, après un dernier souffle, je me levai pour sortir de ma cachette, suivie de près par Thomas.
-Et souviens toi... pas un mot. Lui dis-je avant de sceller mes lèvres et de m'avancer au coeur de la forêt de pin.
Celle ci était épaisse et sombre, mais, rapidement, nous croisâmes les premiers brasiers illuminant le chemin menant au cœur des festivités de l'Ayl'Dee Khobon, la plus importante fête célébrée par le culte païen des Suomen, cette peuplade insensible aux attraits de la modernité vivant pourtant depuis des siècles sur le territoire en ayant subi peu, sinon pas d'évolution sociale. Une communauté fermée, violente, et hostile, dont l'existence continue de poser d'innombrables questions aux historiens, ethnologues et autres sociologistes. Mais je ne m'intéressais pas à ces sciences; je n'étais là que par devoir, et par nécessité. En tant que communauté quasiment absolument fermée au monde extérieur, dont même la langue était inconnue car non écrite, et non enseignée aux non-suomen, il était toujours très difficile de savoir ce que ce peuple vivant encore dans une société que beaucoup croyaient proche des chasseurs cueilleurs était capable de faire, dans une ère ou de plus en plus de voix s'élevaient pour la reconnaissance de leurs coutumes par l'état. J'étais là pour tirer les choses au clair, montrer au monde ce que les Suomen gardaient caché au coeur de leur sanctuaire le plus sacré, au coeur des Alpes, là où aucun civil normalement constitué ne devrait jamais vouloir s'aventurer, et qui était en cette soirée illuminé par d'immenses brasiers allumés dans le réseau de grottes, cuvettes et formations rocheuses si particuliers à cette vallée difficilement accessible. Devant nous, suivant eux aussi le chemin menant aux festivités, marchaient deux hommes, portant, eux aussi, de longues tenues traditionnelles constituées à partir de cuir et de fourrures de bêtes tuées à la chasse, probablement. Les longs arcs ornant le dos des deux hommes ne laissèrent que peu de doute sur le fait qu'ils savaient s'en servir, et même le ridicule de voir des hommes armés d'arcs au 21e siècle ne put me donner l'envie de rire.
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Sauvages
RomanceIls étaient là avant, alors ils ont été conquis. Ils refusaient de se soumettre, alors ils ont été chassés. Ils étaient différents, alors ils se sont battus pour le rester. Pour nous, ils semblent être des barbares surgis d'un autre âge, refusant la...