Expiation

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-Toujours autant un plaisir de conduire sur cette route. Grommelai-je, tandis que la voiture avançait en cahotant sur le chemin inégal menant, une nouvelle fois, à Ar'henno.

L'Ayl'Dee Khobon approchait, mais Da-jee-ha n'avait toujours donné aucune réponse à l'assemblée des cheffes, ce qui avait le bon goût de jeter de l'huile sur le feu d'un choix qui n'avait déjà, apparemment, pas fait l'unanimité, m'avait expliqué Ad'ehko au téléphone quelques jours auparavant. 

"Certains Taa'kangow'a continuent de penser que Moh'lag est morte par sa faute, voire qu'elle l'a tué. D'autres lui reprochent d'avoir fait ami-ami avec toi... et son temps de réponse ne vient pas arranger les choses"

Ce coup de téléphone avait été une manière délicate et camouflée de nous prier incessamment de nous rendre à Ar'henno pour enquêter sur les raisons de cette longue hésitation. Juillet était déjà bien avancé et, comme nous commencions à nous lasser quelque peu du quotidien à la villa, surtout après des mois aussi mouvementés, nous avions sauté sur l'occasion de retourner ainsi en terres suomen. 

-C'est à la qualité de la route qu'on voit la proximité de la nature. Rétorqua fièrement Nokomis.

-La non-qualité, plutôt. C'est à peine une route, c'est une carrière. 

-Mais une carrière qui jamais ne sera exploitée! S'exclama Nokomis comme s'il s'agissait d'une immense victoire. 

La soir tombait déjà, et je sentais la fatigue me monter à la tête. La route depuis la côte d'azur était finalement plutôt longue aussi, bien que moins que celle depuis Paris, mais les mois de tranquillité passés à ne rien faire chez nous devaient m'avoir ramollie. Il allait falloir que je me remette à travailler, malgré le manque de motivation. L'idée de reprendre mon travail sans Thomas était particulièrement difficile à accepter. Finalement, nous arrivâmes à Ar'henno tard dans la nuit. 

Même dans l'obscurité, je pus ressentir à quel point la vallée avait repris vie depuis les neiges qui la recouvrait quand je l'avais quittée. Et, étrangement, je ne ressentis rien dans l'accueil qui nous fut fait de la tension évoquée par Ad'ehko, ni de ressentiment pour la manière dont j'avais quitté les lieux, en secret, à peine après avoir été acceptée dans cette grande famille. Au contraire. On vint m'accueillir à bras ouvert, comme une sœur ou une cousine partie plusieurs années loin du cocon familial et dont on attendait le retour. J'en fus toute chamboulée. Jamais je n'avais vu de telles effusions sentimentales dans ma propre famille... et les miens m'en voulaient toujours de n'avoir pas voulu suivre la voie qu'ils avaient tracée pour moi, alors que cette famille de substitution s'était battue pour me protéger. 

Une bonne nuit de sommeil plus tard, durant laquelle je dois menacer Nokomis de me laisser tranquille étant donné la situation de notre lit et le fait que les autres habitants de la grande maison de Da-jee-ha auraient tout entendu de nos ébats, j'attaquais frontalement la question avec la concernée. 

-Toi penser moi devoir le faire, Kinn'rehi-meh'na? Me demanda-t-elle comme toute réponse.

-Ce n'est pas à moi de décider pour toi. Rétorquai-je. 

-Ça pas beaucoup aider moi... 

Je soupirai. 

-As-tu envie de le faire, oui ou non? As-tu envie d'être l'Aylie? 

Un long silence s'ensuivit. 

-Moi pas savoir. Finit-elle par avouer. Moi... aimer vivre ici. Mais moi aussi vouloir accepter tâche de Kaya'olm. Moi... pas savoir. 

-Mais il y a plus que ça, pas vrai? Fis-je remarquer. Tu es toujours si certaine de tes décisions, si tranchée, j'ai l'impression que c'est la première fois que je te vois hésiter ainsi. 

SauvagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant