Mon sang ne fit qu'un tour, et je me mis immédiatement à suer à grosses gouttes, mais ma voix garda un ton ferme et assuré lorsque je répondis à celle qui faisait désormais partie de ma famille.
-Da-jee-ha! Quelle surprise. Je ne m'attendais pas à t'avoir au téléphone ainsi. Tu es...
-Avec Ukkan'fehi A'dehko. A Paris.
-A... Paris, je vois. C'est... assez loin d'Ar'henno.
-Voiture très pratique pour voyager.
-Oui, c'est sur.
Mon esprit tournait à mille à l'heure. Pourquoi diable Da-jee-ha avait-elle quitté sa retraite montagnarde? Tenait-elle à ce point à m'y ramener et m'y garder? J'avais pensé, naïvement, qu'elle n'en quitterait jamais le refuge, pas avec ses responsabilités en tant que cheffe de sa tribu, pas avec son manque d'enthousiasme envers le reste du territoire français, pas avec son manque d'aise avec la langue. Et, quand bien même elle se décidait à se lancer à mes trousses, je ne l'aurai pas imaginée capable de me traquer aussi efficacement, en moins d'une semaine... Mais j'avais le fait accompli sous les yeux, ou, plutôt, au bout du combiné, où un silence s'était installé. Comptait-elle me ramener de force à Ar'henno? Elle devait pourtant bien comprendre que jamais je n'accepterai cela, que j'avais précisément quitté le village parce que j'avais des choses à régler, des problèmes qui continueraient de me peser sur la conscience aussi longtemps que je m'enfermerai dans la solitude enneigée des hauts monts pour tenter d'y échapper. Des devoirs envers Hen'Ruay. Envers Thomas. Et envers Nokomis. Toutes les victimes collatérales de cette guerre d'idée, de cette guerre secrète, et ceux que je pouvais encore sauver et ramener à mes côtés.
-Ecoute... commençai-je. Je suis désolée de m'être enfuie ainsi d'Ar'henno. Je sais toutes les difficultés que tu as eue à convaincre les anciens de m'accueillir ainsi, comme membre à part entière de votre famille, et... j'ai bien conscience de mon égoïsme. Mais... je ne compte pas rentrer à Ar'henno. Pas maintenant. Je suis partie justement parce que... parce que j'ai des choses à faire. Des choses que je ne peux réaliser en restant là bas, malgré tout le plaisir que j'ai à y rester. Et je ne peux pas rentrer à Ar'henno tant qu'elles ne sont pas réglées.
-Toi vouloir mener révolution seule, Kinn'rehi-meh'na. Soupira Da-jee-ha à l'autre bout du combiné. Mais toi avoir fait ta part. Révolutions jamais être travail une seule personne.
-Peut être. Mais j'en suis le symbole, et je sais qu'il y a bien des choses que je peux encore aider à faire. Tu dois me comprendre, Da-jee-ha.
-Toi libre, Kinn'rehi-meh'na. Moi pas venir pour enfermer toi. Moi venir pour assurer sœur de moi en sécurité.
-Mais... et Ar'henno.
-Ar'henno très bien survivre sans moi. Toi, par contre...
-Je me suis trouvée quelques gardes du corps de rechange en attendant, pero, j'avoue que je ne suis pas vraiment persuadée de leur efficacité. Répondis-je, un sourire au lèvre.
-Toi avoir standards trop élevés, Kinn'rehi-meh'na. Rétorqua la cheffe, dont je sentis au ton qu'elle devait également avoir légèrement levé la commissure de ses lèvres, le seul signe d'amusement qu'elle montrait jamais sur son visage pourtant si inexpressif.
-Mes standards considèrent que ta présence est plus que largement suffisante à ma sécurité. Concluai-je. Mais pas d'entourloupe, hein? Tu me promets que je ne me réveillerai pas un matin bâillonnée à l'arrière d'une camionnette roulant vers les Alpes?
-Moi pas savoir où toi tirer ce genre de cliché, mais moi promettre.
-J'ai quelques expériences avec ce genre de réveil, malheureusement. Répondis-je avec un frisson glacé.
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Sauvages
Lãng mạnIls étaient là avant, alors ils ont été conquis. Ils refusaient de se soumettre, alors ils ont été chassés. Ils étaient différents, alors ils se sont battus pour le rester. Pour nous, ils semblent être des barbares surgis d'un autre âge, refusant la...