Jesus est dans ton coeur

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25 août

Il crève de chaud, ici. Est-ce qu'à ton époque, c'est devenu la canicule tous les étés, future moi ? Si c'est le cas, je crois que je vais aller déménager en laponie ou au sommet du Mont Blanc, parce que c'est tout simplement insupportable. Putain de réchauffement climatique... encore une magnifique invention des kowos, pas vrai ?

Hier, c'était l'anniversaire de Ten Mak'ol. Enfin, si on peut appeler anniversaire la commémoration d'un massacre, bien évidemment. Je suis jamais allée sur la plaque commémorative, ni revoir les ossements conservés chez les chamans d'Ak-nel Eerb. C'est trop dur. Mais toi, future moi, as-tu trouvé la force de t'y rendre ? De faire face à cette noirceur qui habite notre monde et menace à chaque instant de s'abattre sur notre peuple, sans que nous ne puissions rien faire contre elle ? Parfois, la nuit, je rêve que j'étais chez nous, ce jour-là. Que j'aurai pu empêcher un tel massacre, que j'aurais tué moi-même les attaquants, que j'aurai pu sauver tout le monde. Mais tout ça, ce ne sont que des fantasmes imbéciles... la réalité, c'est que si j'y avais été, je serais morte, comme tous les autres. On m'aurait élevée en martyr, et on se serait servie de mon nom pour commettre des atrocités tout aussi répréhensibles sur des gens tout aussi innocents, tout comme le font ces imbéciles de Taa'Kangow'a. Rien que d'imaginer Tor'neh en train de se pavaner parmi eux en brandissant haut la mort de maman comme étendard de son mouvement terroriste me donne envie de vomir. Comme si tuer des kowos allait la faire revenir ! Petit con prétentieux... Il semble avoir occulté de sa mémoire tout autant que les autres qu'il n'y avait pas que des Suomens, à Ten Mak'ol. Et qu'ils n'ont pas été plus épargnés que les notres.

Bref. J'avais envie de me changer les idées en revenant t'écrire, future moi, et voilà que je me mets à me morfondre ! Le quotidien est assez pénible ici pour que je m'amuse à me déprimer toute seule. Quand je pense aux choses que j'aurai oublié à l'avenir, des choses que tu as oubliées mais dont je me souviens encore, j'imagine que ce qu'il se passe derrière ces barreaux en fait partie. Je pourrai t'en parler longuement, t'expliquer les luttes internes entre les clans, la vigilance des gardiens, les trafics sur lesquels ils ferment les yeux, les sévices qu'ils choisissent d'ignorer... mais ce sont des choses de peu d'importance, en toute finalité. Le sort de kowos enfermés derrière ces barreaux n'a pas grande importance à être remémoré, et je ne pense pas que nos pairs aient grand-chose à retenir de leur passage ici. Mais je souhaite que jamais, tu n'oublies notre passé, car, si celui-ci venait à disparaître, alors je ne me sentirai plus de continuer à vivre. On a tendance à beaucoup s'attacher aux souvenirs, j'imagine... Surtout quand ceux qui y apparaissent ne sont plus là pour les perpétuer.

Où en étais-je ? Ah, oui. Mais réflexions sur la mort en maternelle. On peut dire que, du point de vue des kowos, j'étais vraiment en avance. Une vraie enfant précoce, mais le genre de précoce qui ne leur plait pas trop. Ces vieilles harpies et ces vieux cons me voyaient comme l'antéchrist ! Il ne fallait surtout pas que je souille l'innocence de ces pauvres enfants avec mes paroles débridées ! Imbéciles... L'innocence de l'enfance est une bien belle invention pour éviter aux adultes de devoir justifier l'injustifiable. Les enfants ont cet avantage qu'ils ne comprennent pas quelles questions peuvent et ne peuvent pas être posées. Quand j'ai demandé « pourquoi tous les présidents sont des monsieurs, alors que toutes nos cheffes sont des madames », l'institutrice a vu flou. Et c'est cette question qui en a amenée des centaines d'autres, durant la primaire.

Est-ce que tu te souviens de la primaire, future moi ? C'était plutôt sympa, en somme. A toutes les récréations, on jouait au foot... on passait notre temps à voir les autres s'entre accuser de tricheries, au point que je n'arrive même pas à me souvenir si quelqu'un a réellement triché un jour, ni comment. Les filles restaient entre elles pour la plupart, pourtant. Aucune ne semblait vraiment intéressée par le foot. C'était le truc « des garçons ». Moi, j'étais le « garçon manqué », avec mes cheveux courts et ma dégaine sportive. A l'inverse, les garçons qui restaient à l'écart du terrain, et jouaient avec les filles, c'étaient les « filles manquées ». J'avais vraiment du mal à comprendre tout ça. Tous les week end, et toutes les vacances, nous les passions à Ten Mak'ol, au milieu des Suomen, où alors nous allions aux terres ancestrales voir Mamé et tous les autres. Là bas, tout le monde tirait à l'arc, guidait les bêtes, montait les chevaux. Il y avait toujours quelques laa-kesh, bien sûr, comme ce vieux To-nek Ra, qui avait choisi de se renommer Robin, de faire reconnaître sa légitimité en temps que français, et d'aller étudier le commerce comme un kowo. Mamé le detestait, tu te souviens ? Elle disait tout le temps « Il vit comme un chien qui a peur de sa queue ». Il ne participait à aucun rituel ! Mais bref, les laa-kesh, ils étaient peu, et en général, ils revenaient pas. Le reste était très uniforme... jamais aucune distinction entre garçon et fille, en tout cas, pas à notre âge ! Les plus vieux, les adolescents qui commençaient à percer leurs oreilles et à recevoir des tatouages, eux, ils commençaient plus à se chercher entre eux, ça se voyait. Mais parmi les gosses, c'était impensable.

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