Disparue

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-Et c'est donc un trait culturel également commun à de nombreuses cultures bouddhistes surtout au Népal, qui considèrent ainsi que les vautours emmènent l'âme des défunts aux cieux. C'est également un moyen de confronter les croyants à l'impermanence, l'éphémerité de la vie, et... Ester?

-Qué?

-Vous aviez l'air distraite. Toute va bien?

-Oh... vale, je suis un peu fatiguée ces derniers temps. Perdoneme, Pietro. Continuez.

-Très bien. Comme je le disais, l'inhumation céleste...

La fatigue n'était pas vraiment la seule raison pour laquelle mon esprit ne parvenait pas à se concentrer sur les propos du chercheur, que mon enregistreur se chargeait de sauvegarder dans tous les cas. Après avoir obtenu l'autorisation de mener à bien mon projet, j'avais commencer à mener mon enquête. Il ne me suffirait pas de pointer du doigt les actions du gouvernement, il me fallait également des arguments solides. J'avais contacté associations, ONG des droits de l'homme et spécialistes en anthropologie ou en sociologie, avec beaucoup de succès durant ce premier mois de travail. Mais surtout, j'avais passé de longues heures à contacter les différents organismes d'accueil et les associations spécifiques aux jeunes suomen.

Car Nokomis n'était jamais revenue.

Je n'avais pas la moindre idée de l'endroit où elle pouvait se trouver, et j'avais peur pour elle, seule dans cette immense ville qu'elle devait tant détester. Mais depuis le temps, il était probable qu'elle ait trouvé un moyen de la quitter. Ou bien peut être y était-elle encore, forcée de coucher sous les ponts? Je savais qu'elle était bien trop fière pour mendier, alors comment aurait-elle gagné de quoi vivre? Ma crainte venait autant du fait qu'elle pouvait être dans une mauvaise situation que de la possibilité, bien présente, que le moyen de subsistance qu'elle ait trouvé ne soit pas très légal et la ramène directement en prison. J'ignorai ce qui l'y avait menée la première fois, et j'osai espérer qu'elle aurait l'intelligence de ne pas s'y retenter - mais je ne pouvais pas en être sûre. Alors, dès que mon temps me le permettait, je tentais de parcourir la plus grande partie de la ville, dans l'espoir de tomber sur elle par hasard. Qu'aurai-je fait si cela était arrivé? Je ne le savais pas vraiment. Je n'avais pas totalement compris pourquoi elle avait disparu ainsi. Était-ce par culpabilité? Ou bien en avait-elle simplement eut assez de moi? Accepterait-elle seulement de me parler? Je n'en étais pas sûre. Et l'appartement semblait terriblement vide...

J'avais réussi à contacter Da-jee-ha, et elle m'avait avoué qu'elle s'était douté que ce genre de situation arriverait, simplement pas aussi rapidement, et qu'elle m'enverrait quelqu'un à la place, ce que j'avais catégoriquement refusé. Je lui avais simplement demandé de me prévenir si elle recevait la moindre nouvelle de la jeune fugueuse. J'avais pensé à aller à la police, mais c'était probablement une très mauvaise idée; tout d'abord parce que Nokomis n'avait pas un amour immodéré pour les forces de l'ordre, et ensuite car moi même ressentait un profond malaise à leur encontre depuis l'épisode de la manifestation. Enfin, Nokomis était majeure. Elle n'avait pas été enlevée, et rien ne m'indiquait qu'elle était en danger: elle était juste... partie. Je ne pensais pas pouvoir seulement essayer de la faire porter disparue...

Après avoir passé autant de temps au milieu d'une communauté aussi unie, la solitude m'avait frappée comme un violent coup de poing au ventre. J'avais toujours vécu sur de grandes surfaces, mais, le soir venu, lorsque l'obscurité commençait à tomber, et que la fraicheur tombait sur la capitale, il me semblait immense, vide, et froid. Et je m'y sentais terriblement vulnérable. Ma solitude n'avait pu être comblée que par le travail, et je m'y étais donc plongée à bras le corps. J'avais pu retrouver Thomas, mon fidèle caméraman, que je n'avais vu depuis plusieurs mois désormais. Notre synergie naturelle était plaisante, et j'étais heureuse de le savoir là, mais sa présence ne parvenait qu'à diluer la mélancolie qui m'emprisonnait.

SauvagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant