17 juillet
Salut.
Je savais pas comment commencer ce cahier. J'ai jamais vraiment pris le temps d'écrire avant. J'imagine qu'il y a un début à tout. En tout cas, ça me permettra au moins de me tenir occupée jusqu'à ce que je sorte d'ici. Mais dans le cas ou quelqu'un le trouverait, je vais éviter de donner trop d'info récentes... en tout cas, TOI QUI LIS CE CAHIER, REPOSE-LE AU PLUS VITE OU JE VAIS TE RETROUVER ET TE FAIRE LA PEAU. CAPISHE ?
Bon... j'aurais bien écrit en suomen, pour être tranquille, mais faudra un jour se décider à mettre cette langue à l'écrit, c'est plus possible. Bref. Je viens de commencer, et je sais déjà plus quoi dire. Ca valait bien le coup de me faire chier à y mettre la main sur ce foutu cahier.
Je pourrai parler de l'actualité, j'imagine. Pas grand-chose d'intéressant ne filtre... la même rengaine habituelle. Des saloperies qu'on nous met sur le dos, des gens qui violent nos sanctuaires, des violences et des morts. Pas joyeux, mais classique. Et puis, puisqu'on peut rien y faire, autant s'y habituer, pas vrai ? J'imagine que je vais plutôt raconter ma vie, du coup ? Est-ce que c'est vraiment utile ? Pas vraiment, je pense. J'ai ça tout bien dans ma tête, normalement. Mais bon... j'imagine qu'oublier me fait un peu peur. Et j'espère vraiment que personne va tomber là-dessus, putain de merde.
Dans le doute, je vais m'adresser à mon moi du futur. Salut, moi du futur. Petit coucou depuis la prison. J'imagine que tu dois t'en souvenir avec nostalgie, de là où tu me lis, des saloperies de Ja'mak-ha, des blagues de merdes de Guzzman, des grossièretés du gardien Gival. Mais actuellement, c'est juste plutôt chiant, à vrai dire. Donc je vais plutôt te parler, chère moi du futur, de mon moi du passé. Notre moi du passé ? Peu importe.
Je ne sais pas si tu te souviens de quand on était jeune, moi du futur. Moi, oui. C'est encore très frais dans ma mémoire, il faut dire. Mais te souviens tu comment, déjà toute petite, on se sentait différentes des autres ?
Maman était la meilleure maman. Et Papa était... papa, on va dire. Aussi génial qu'insupportable. Une paire plus qu'incongrue. Une suomen avec un kowo. Une fille de la nature, avec un français. Mélange explosif, s'il en est, surtout à l'époque, pas vrai ? Je crois que Maman m'a un jour raconté la façon dont ils se sont rencontrés à l'armée. J'ai l'impression que toutes les histoires d'amour tournent autour de l'armée, par chez nous. Des rencontres au front, des camaraderies puissantes allant plus loin, l'union face à l'adversité dans les unités... ça crée des liens, c'est sûr, on est bien placées pour le savoir, même si, question romance, on est aux antipodes de la moyenne chez les suomen. Bref, je m'égare. C'est plutôt agréable d'écrire comme ça, je dois te l'avouer. Je pourrai presque y prendre goût !
Bref. Maman et papa, oui. Rencontre à l'armée, assez classique, somme toute. Je crois qu'elle a dû lui sauver la vie pendant une mission, ce qui me semble assez étrange, vu qu'on était pas vraiment mélangés aux kowos à l'armée, nous, mais peut être que c'était le cas à leur époque ? En tout cas, ça a bien marché entre eux, et à peine rentrés, voilà qu'il y a un bébé au four. Nous. Enfin, moi. T'as pigé.
Je me demande si, à une autre époque, Mamé nous aurait jetée au feu à la naissance. Une wah-nar comme nous, issue d'une liaison avec les envahisseurs... pour le coup, on a plutôt eu de la chance d'être née de nos jours, quoi qu'en disent certains. Est-ce que tu te rappelles notre premier souvenir ? Moi, oui. C'était à un Noël. On devait avoir... deux... trois ans ? Maman était déjà enceinte de Tor'neh. On était dans la minuscule maison des parents de papa. Je crois qu'on ne les a jamais revu, d'ailleurs. Bref. Je me souviens de ce moment où j'ai ouvert le cadeau de Maman, avec mon premier arc. Et je me souviens des cris outrés des parents de papa. C'est un peu flou, et c'est tout ce dont je me souviens. A l'époque, on ne se posait pas de question comme « c'est quoi Noël », « pourquoi Mamé ne le fêtait pas ». On recevait des cadeaux, alors, c'était forcément... bien. Et savoir qui était ce petit bonhomme dans la crèche nous importait pas beaucoup. On voulait juste tirer sur la cible qu'on avait fabriqué avec Papa. C'était le bon vieux temps. Ah ! Je parle comme une vieille. Ou comme une Taa'kangow'a. On en a quelques-unes, à la prison. Tu devrais les écouter, on pourrait croire qu'elles pensent sincèrement que les kowos vont tous nous trancher la gorge pendant notre sommeil. Bande d'imbécile... les kowos sont peut-être faibles, mais ils sont nombreux, et ça fait des millénaires qu'ils nous ont envahi. Ce n'est pas en tuant quelques politiciens par ci par là que notre peuple va retrouver ses terres. Enfin, je ne sais pas si ce sont eux ou les prêcheurs de la grande paix qui m'énervent le plus. Les uns imaginent qu'en les tuant ils vont nous donner ce qu'on veut, les autres pensent que discuter amènera à de meilleurs résultats. Conneries. Il n'y a qu'une seule chose à dire : on est dans la merde, et on va y rester. C'est tout. Faut faire avec. Et je suis persuadée que tu seras d'accord avec moi là-dessus, moi du futur.
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Sauvages
Любовные романыIls étaient là avant, alors ils ont été conquis. Ils refusaient de se soumettre, alors ils ont été chassés. Ils étaient différents, alors ils se sont battus pour le rester. Pour nous, ils semblent être des barbares surgis d'un autre âge, refusant la...