Il faisait nuit noire lorsque je me glissai hors des épaisses couvertures recouvrant ma paillasse. Le froid s'insinuait contre ma peau, désormais uniquement protégée par la fine épaisseur du tissu de mon pyjama - j'avais du bien vite oublier mes habitudes de dormir en sous vêtement, à Ar'henno. Pendant un instant, je restai silencieuse au bord de la plateforme qui me servait de chambre, et écoutai, silencieusement, les bruits de la maisonnée endormie. Pas le moindre ne parvint à mes oreilles. Tout semblait comme étouffé par l'épaisse couche de neige qui tenait bon dehors, malgré les jours passant, sous les rayons du soleil. Seuls quelques craquements du bois résonnaient de temps à autre. De ma position, j'essayais de percevoir le moindre mouvement sur les autres plateformes, afin de sonder à quel point tout le monde était endormi, mais dans l'obscurité, cela équivalait à tenter de trouver une aiguille en ayant les yeux bandés. Discrètement, je descendis alors l'échelle avec une lenteur calculée, consciente du moindre de mes mouvements, du plus léger de mes bruits, du moindre signal pouvant atteindre les oreilles fines des guerrières suomen endormies sur leur paillasses à quelques mètres de moi. Étais-je en train de m'enfuir?
Non.
Pas encore, du moins.
Je me sentais mal de vouloir ainsi faire faux bons à mes hôtes, mais il me semblait de plus en plus évident que plus le temps passait, plus mes opportunités de départ s'estompaient. J'étais de nouveau capable de me mouvoir sans trop de douleur malgré la trace de ma blessure, et l'apathie qui m'avait prise après tous ces évènements, après tous ces échecs, après toutes ces pertes s'était envolée peu à peu pour laisser place à une rage d'agir - une rage que je n'avais su vers quoi diriger jusqu'ici, jusqu'à cette offre inattendue, cette opportunité. La nuit porte conseil, dit le philosophe, et il ne lui est pas non plus inconnu que les hommes de pouvoirs possèdent certains droits dont le reste de la population ne peut espérer. En l'occurrence, le président de la République française, dont les fonctions incluent la possibilité de gracier des condamnés. Ma réticence à accorder mon soutiens au moindre candidat avait été soufflée par cette simple idée. Une idée qui répugnerait probablement Nokomis, et sa haine presque génétique de l'autorité. Après tout, offrir une grace, n'est ce pas accepter la culpabilité tout en offrant une autre chance? Ma belle aurait crié son innocence derrière des barreaux plutôt qu'accepter sa liberté en échange de son honneur. Mais à vrai dire, peu m'importait ses caprices. L'idée de la savoir derrière les barreaux pour des années encore était une torture. Je ne pouvais qu'imaginer tous les moments perdus, que jamais le temps ne nous permettrai de rattraper. J'avais besoin d'elle, ne serait-ce que pour oublier que Thomas avait disparu. Contrairement à lui, je savais où elle était, elle, et j'avais un plan - certes, complètement fou - mais un plan tout de même pour le sortir du trou. Ce que je ferai après cela, je l'ignorais. Peu m'importait. J'avais juste besoin qu'elle soit là. De la sentir. De la voir, tous les matins au réveil, j'avais besoin de nos sempiternelles joutes verbales, de ses réparties acerbes, de ses séances de sports intensives autant que de nos moments d'intimités, seules devant la télévision, sur notre canapé. Le simple fait d'y penser alourdissait mon cœur, je le sentait couler profondément dans ma poitrine, un pieu planté en son sens.
Ar'henno était peut être ma famille, plus que celle qui m'unissait par le sang à mes frères et parents. Mais mon foyer, je le savais, était là où elle se trouvait, elle.
Il fallait que je laisse Ar'henno derrière mois. Pour retrouver la chaleur de ce foyer, j'étais prête à risquer ce qu'il me restait, ma vie, principalement. Pour faire disparaître le sentiment horrible que l'inaction faisait peu à peu germer en moi, il fallait que je prenne le large. Et je ne comptais pas partir seule, bien que je me doutais que cela n'allait pas m'attirer que des amis au sein de ma famille de substitution. Lorsque je posai le pied sur le sol de la grande salle, un léger grincement retentit, et je m'immobilisai aussitôt, scrutant l'obscurité avec des yeux de chouette. Rien ne bougea. La maisonnée semblait toujours parfaitement endormie, mais ce pouvait être une ruse? Comment en avoir la moindre certitude avec des suomen? Des chasseurs nés, capables de rester immobiles dans la neige des heures durant à camoufler leur souffle en mangeant de la glace, attendant la moindre erreur de leur proie? Je n'avais qu'à espérer que leur sommeil était aussi profond que leur concentration à la chasse, et fis un nouveau pas. Le sol de la grande salle, recouvert de planches, était un nid à grincement, et je n'atteins ma destination qu'après un temps infini, au prix d'un effort surhumain et d'un temps bien trop long: l'escalier descendant à l'entre sol.

VOUS LISEZ
Sauvages
Roman d'amourIls étaient là avant, alors ils ont été conquis. Ils refusaient de se soumettre, alors ils ont été chassés. Ils étaient différents, alors ils se sont battus pour le rester. Pour nous, ils semblent être des barbares surgis d'un autre âge, refusant la...