Premiers amours

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30 aout

Salut, future moi. Ça fait un bail, pas vrai? Enfin, j'imagine que si tu relis ce journal, tu n'as qu'a tourner la page pour voyager de plus d'un mois dans le temps, alors le temps entre chaque entrée n'est pas si important.

Tout ça pour dire que j'approche à grand pas de l'heure de la libération, et ça, ça fait plaisir. C'est pas que je commence à en avoir marre de cette prison de merde, où les kowos entassent les nôtres dans l'espoir vain de les « rééduquer » pour entrer dans le moule de leur société. Je ne dis pas que certains ne mériteraient pas une bonne dose de rééducation, mais je doute que les coups et privations fonctionnent vraiment pour convaincre de fiers guerriers Suomen de se convertir au pacifisme capitaliste et souverainiste français. Enfin... c'est beau de voir que les geôliers ont de l'espoir. Moi, dans moins de quelques semaines, je gambaderais librement dehors. Je ferais en sorte de pas ma faire re chopper trop vite. Il faudra aussi que je voie ce que je vais faire. J'espère que tu ne m'en voudras pas trop, si mes idées à la sortie sont vraiment nulles, c'est aussi les tiennes finalement.

Mamé m'a encore envoyé une lettre pour que je vienne habiter avec elle. Je ne sais pas ce qu'est ton opinion à son sujet, future moi, mais moi, elle m'énerve. Si mon stupide frère est un imbécile de radicalisé nourri à la propagande taa'kangow'a, elle est tout l'inverse. Toujours à croire que tout peut se régler par la discussion, par la diplomatie, comme à ignorer les siècles de souffrances infligées par le gouvernement et son peuple. Comme si, soudain, par une sorte de révélation soudaine, l'assemblée allait se dire « tiens? Cette vieille femme m'a l'air bien mondaine, et si nous accordions un territoire à ce peuple sauvage qui ne joue pas selon les règles du capitalisme et dont la violence nous a toujours fait peur? ».

Elle est incapable de voir qu'on ne peut pas discuter avec le gouvernement des kowos. Pas plus qu'on ne peut le faire céder par la force et le terrorisme. Tout ce qu'on a à faire, c'est vivre dans notre coin, et leur montrer que jamais ils ne nous domineront. Enfin bref... tout ça pour dire que je ne vais clairement pas aller rejoindre Mamé. À l'époque, elle avait une certaine fierté, au lieu d'aller lécher les bottes des kowos, mais depuis la mort de Maman, elle est irrécupérable. Comme toute la famille, en fait.

Et je me demande si ça me comprends, aussi. Probablement. J'espère que tu as pu me récupérer, me redresser, moi du futur.

Mais assez du présent, parlons du passé, à l'époque où « tout était mieux », soi disant. Où en était-on? Ah! Ou, le petit Jésus qui s'est définitivement planqué. Je ne suis pas sûre de croire qu'Ukko possède une réelle volonté, mais même s'il n'en a pas, il reste un concept digne de se battre pour lui. En tout cas, j'imagine que c'est dans cet état d'esprit qu'on est entrées au collège, vu que c'est toujours mon état d'esprit, et que je ne pense pas en avoir changé.

Aaaah, le collège... pendant que les kowos jouaient à se faire chier entre garçons et filles, à parler cul, et pleins d'autre choses si intéressantes, qu'est ce qu'on faisait, nous, ma chère moi du future? On commençait notre chemin vers l'âge adulte. Je me souviens de quand on a commencé le Mi'teerada... la première dose de poison et la première boucle d'oreille qui en découlait. J'en était si fière! Pourtant, qu'est ce qu'on avait douillé... je savais que la première dose était toujours difficile, mais finir alitée pendant quelques jours, c'était pas joyeux. Mais bon, c'était le passage obligatoire. Quand je pense que maintenant, j'ai plus de boucles que presque tous mes codétenus! Je suis immunisée à l'empoisonnement à vie. Enfin bref, en tout cas, les autres élèves, les kowos, eux ils comprenaient pas le sens de ce geste. Ils n'existe pas de rite de passage à l'âge adulte chez eux... ils s'imaginent qu'il suffit d'atteindre ses 18 ans, de voter ou de payer ses impôts pour être considérés comme adultes. Tu m'étonnes que la plupart sont paumés et savent pas quoi faire... la Mi'teerada, c'est l'occasion de prouver sa résistance à la douleur! De voir ceux qui y sont les meilleurs, les plus braves, ceux qui finiront par devenir les supérieurs des autres au combat. Porter ses boucles d'oreille, c'est une fierté que ne peuvent pas comprendre les kowos, pour qui ce n'est qu'un accessoire de mode.

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