C'est dans une obscurité mate que nous sortîmes de la voiture, garée – si l'on peut dire – sur le bord du chemin de terre, à moitié dans un buisson dont je du repousser les branches afin de m'extirper de la place passager où j'étais assise. Dehors, une multitude de bruits, le vent dans les arbres, le glougloutement d'un ruisseau invisible, le bruissement de la vie nocturne. Au dessus de nous, la voute céleste parsemée d'une myriade d'étoiles, si nombreuses que j'en fus abasourdie. Y en avait-il toujours eu autant? Je n'en avais pas l'impression... il me semblait pénétrer dans un autre monde.
–Suis-moi. Me lança Hen'Ruay, tout en saisissant une torche, qu'elle alluma d'un agile geste, en se servant d'une pierre à feu sortie de son sac.
–Vous vous trimballez tout le temps avec ça sur vous? Dis-je en montrant la pierre qu'elle rangeait.
–Tu emporte bien ton maquillage avec toi quand bien même nous partons au fin fond des bois. Rétorqua-t-elle.
–Au moins mon maquillage ne risque pas de foutre le feu à la forêt. Grommelai-je.
–Seulement à ta peau, en effet. Allons-y.
Et ainsi, éclairées par rien d'autre que la flamme vacillante de la torche, nous pénétrâmes dans la forêt. Enfin... nous y avions pénétré depuis longtemps, puisque la piste y serpentait. Mais cette fois ci, ce n'était qu'un chemin, large pour au plus une ou deux personnes, et qui s'engouffraient dans la noirceur de la forêt et de la nuit. Rapidement, les ténèbres se refermèrent tout autour de nous. La voiture était loin derrière, et le ciel n'apparaissait que par intermittence entre les hautes branches. La flamme de la torche était le seul repère dans cette immensité nocturne, et il éclairait le visage ridé de Hen'Ruay d'une lumière vacillante. Tout autour, les bruits retentissaient, résonnaient, marque de la présence d'un univers entier invisible à nos yeux.
Longtemps, nous marchâmes dans l'obscurité. Le chemin sinuait dans l'obscurité immaculée, montant, descendant, irrégulier au possible avec sa largeur changeante et les pierres qui le jonchaient, sur lesquelles il m'arrivait de trébucher. Mais je tenais bon: je n'étais pas venue jusqu'ici pour me faire humilier, après tout. Si c'était encore une épreuve, je comptais bien prouver que j'en étais digne, et que j'allais la mener jusqu'au bout! Je lançais ainsi des regards de défis de toute part: au dos d'Hen'Ruay qui m'ignorait royalement, aux arbres aveugles, aux créatures invisible... C'était évidemment stupide, mais probablement un moyen comme un autre de combattre la tension qui montait peu à peu dans mon ventre, me tordant les entrailles.
Finalement, le chemin finit par s'élargir. La route se fit plus claire, et la voûte étoilée reparut au dessus de nos têtes. La silhouette élancée des montagnes qui nous entouraient se découpait sur le noir du ciel, dont les milliards d'étoiles étaient autant d'invitations à se coucher dans l'herbe qui reparaissait ça et là au milieu des arbres de plus en plus épars, afin de passer le restant de la nuit à les observer. Mais ce qui me frappa, également, c'était l'apparence de la formation rocheuse qui nous faisait face, au fond de la vallée. Je savais qu'il s'agissait de notre destination, mais je comprenais seulement à cet instant un aspect que je n'en avais pas encore compris: la haute roche qui marquait l'entrée du complexe de grotte avait été sculptée par le temps et les éléments, dévoilant une forme semblable à un visage humain. Cet élément était renforcé par les feux qui avaient été allumés dans les cavité représentant les yeux; il me semblait donc voir, au fond de la vallée, un visage géant aux regard de braise, dont l'immense gueule s'enfonçait dans les grottes et gorges du massif. C'était un spectacle particulièrement impressionnant, et je me fis la remarque qu'il aurait fait un premier plan très intéressant pour le reportage, si j'avais pris le temps de la remarquer.
Nous marchâmes sur les pistes menant à "Ho'Cho". Contrairement au soir de l'Ayl'Dee Khobon, il n'y avait pas âme qui vive sur ces derniers, et les grands brasiers qui les longeaient avait disparus. Seuls illuminaient la courte vallée les yeux enflammés de l'entrée du sanctuaire, ainsi que les lueurs du firmament. Hen'Ruay accéléra le pas sur le terrain désormais bien plus égal, jusqu'à atteindre l'entrée du réseau des grottes. Un frisson me parcourut à l'idée d'y pénétrer.
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Sauvages
RomanceIls étaient là avant, alors ils ont été conquis. Ils refusaient de se soumettre, alors ils ont été chassés. Ils étaient différents, alors ils se sont battus pour le rester. Pour nous, ils semblent être des barbares surgis d'un autre âge, refusant la...