Libérez Hen'Ruay

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La foule était dense et compacte, avançant au rythme des chants et des tambours le long de l'imposante avenue. Les pancartes aux slogans plus inventifs les uns que les autres étaient brandies avec fougue, tandis que de large banderoles étaient dépliées en tête du cortège, où j'avançais aux côtés de Da-jee-ha, Ad'ehko, et tant d'autres dont les noms m'étaient inconnus. J'aurai pu me sentir fragile, à me montrer ainsi en public pour la première fois depuis si longtemps, mais, à l'opposé de cela, j'avais un sentiment de force, comme si plus rien ne pouvait m'arrêter. Les quelques guerriers d'Ar'henno restés sur Paris couvraient cependant mes arrières, car Da-jee-ha n'avait aucune intension de baisser sa garde. C'était une belle journée pour un mois de février, fraiche mais ensoleillée, comme si les éléments se montraient cléments envers la cause que nous portions avec tant de ferveur. 

Le jour de la manifestation était arrivé. L'organisation avait été frénétique, durant les jours qui avaient précédés, et cela m'avait quelque peu permis de mettre de côté le souvenir de ma rencontre avec Moh'lag, bien que la réalisation de l'absence de Thomas restait présente, à chaque instant, dans un recoin de mon esprit, comme un diable s'amusant à me piquer de sa fourche dès que mon esprit cessait de se concentrer sur un tout autre sujet. Je me prenais à imaginer mille scénarios expliquant un mensonge de Moh'lag, ou une ruse de la part de mon ami qui aurait faussé la croyance des Taa'kangow'a en sa mort. Toutes ces hypothèses n'étaient que des élucubrations de mon esprit, et me faisaient plus de mal que de bien. Je m'étais donc, en désespoir de cause, jetée corps et âme dans la préparation de cette manifestation, de cette marche pour les droits des suomen, avec son long trajet à travers la capitale, pour arriver face à une estrade montée les jours précédents et de laquelle une série de personnes allaient prononcer des discours - dont moi. J'avais même préparé ce que j'allais dire, long texte de plus de sept pages, des mots à jeter à la foule, un cri du coeur pour changer les choses. Car plus rien ne me retenait à présent. 

Si Thomas n'était réellement plus là, alors j'allais mener jusqu'au bout le combat pour réduire à néant les espoirs de ceux qui l'avaient tué. 

Une nouvelle fois, mon esprit me ramenait à mon ami, et le diablotin dans mon esprit se réveilla. Mon coeur se serra, et je criais de plus belle, décidant que son rythme devait plus suivre le rythme des tambours que les fluctuations de mes émotions, dont j'avais fini par accepter que j'avais totalement perdu le contrôle. 

La marche était longue, mais vivifiante. Tant d'inconnus, tant de visages différents, pour venir soutenir cette cause qui avait tant changé ma vie. Des suomen, bien sûr, mais presque en minorité passé les premiers rangs, noyés dans une masse infiniment plus diverse. Ni moi, ni les autres organisateurs n'avions espéré une telle réponse à notre appel. Ce long fleuve humain sinuait dans les rues derrière nous, savant mélange de français et d'étrangers, de blancs, de noirs, de jeunes, de vieux, hommes et femmes, riches ou pauvres, tous réunis ici au nom d'une cause qui les dépassait pourtant tellement. Un sourire me vint en pensant que c'était le symbole de la défaite de Moh'lag. Malgré sa stratégie de la peur, malgré ses crimes, malgré ses tentatives désespérées de faire de ce combat une lutte pour les suomen seuls, malgré toutes ses tentatives de faire croire à une France unie dans sa haine de son peuple... tant de personnes qui auraient pu faire autre chose de leur journée, qui auraient pu se moquer de cette cause ne les concernant en rien, s'étaient joint à nous et marchaient derrière nous. Je savais que j'avais une part de responsabilité dans ce mouvement, mais également que je lui devais beaucoup. Hen'Ruay l'avait construit, avant moi, et bien d'autres l'avaient structurés tandis que je fuyais, autant inquiète pour ma vie que par l'ampleur que cela avait pris dans ma vie. J'avais fini par tant me recentrer sur mon propre drame personnel que j'en avais presque oublié tout le chemin parcouru par ceux qui, depuis des années, s'étaient battu autant contre un gouvernement indifférent que contre des Traditionalistes hostiles, sans jamais réussir à réunir un tel soutient populaire. 

SauvagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant