Marc Lange

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Emilie se tenait, digne et droite, dans le hall d'entrée de la prison lorsque j'arrivai, accompagnée d'une grande femme rousse à l'allure revêche et peu avenante, qui, en me voyant arriver, se contenta de poser un rapide baiser sur la joue de la chanteuse avant d'aller s'adosser à un mur. Je la saluai avec autant de chaleur que je le pouvais, consciente que ce que je lui demandais en ce jour là était bien plus lourd et difficile pour elle que je ne pourrais jamais l'imaginer. 

-Bonjour, Emilie. Comment vas-tu? 

-Je pourrai me porter mieux, mais j'ai été pire. Résuma-t-elle simplement. J'ai réglé les papiers de visite auparavant, tout sera enregistré. S'il laisse échapper quoi que ce soit, il y aura une preuve. 

-Mais ces preuves... pourra-t-on y avoir accès? 

-Ne vous en faites pas. Tout sera rendu public, dès que j'en aurai discuté avec mon avocat. J'ai cette liste de noms écrite depuis bien longtemps, juste au cas où il m'arrive quelque chose. 

Je déglutis. La liste. La fameuse liste de clients que nous avions désespérément cherché à l'époque, avant d'abandonner et de tenter d'enfouir les souvenirs de cette affaire. Sous nos yeux, depuis le début. Je n'aurai pas pensé qu'Emilie, ou même les autres enfants, auraient pu garder la moindre chose pour eux. J'étais persuadée qu'ils n'avaient tout simplement pas la moindre idée de l'identité de ces clients qui faisaient usage de leur corps, ou bien qu'ils les avaient effacés de leur mémoire. Je pense que c'est ce que j'aurai fait, mais j'ai grandi dans une grande propriété noble d'Espagne orientale, et non pas dans les caves de trafiquantes humains. Comment pouvais-je vraiment avoir la moindre idée de ce que j'aurai fait à la place de ces enfants? Tant d'entre eux n'avaient jamais réussi à se reconstruire et avaient fini par se suicider... tant de vies ruinées par Hadès, mais surtout par tous ces clients inconnus dont les visages étaient bien gentiment gardés sous silence par l'organisation, un chantage qui avait probablement joué dans l'influence qu'elle avait encore. Combien de tête pouvaient tomber, de carrières êtres ruinées, si ces préférences malsaines étaient révélées au grand jour? Je n'avais pas vraiment idée du nombre de personnes impliquées, mais c'était suffisant pour que ce soit une bombe dans le paysage des puissants. Et dire que tout cela reposait sur les épaules de cette jeune femme, plus jeune encore que Nokomis... tous les procès à venir, les accusations de diffamation, les menaces, les insultes... on lui dirait que, si c'était la vérité, elle aurait dû le dire plus tôt. Qu'elle ne cherchait que l'attention. Qu'elle voulait de l'argent. Les hommes avaient toujours les même rengaines concernant les femmes un peu trop bavardes sur leurs exactions. 

Après une fouille rapide, nous fûmes introduites dans une salle intégralement blanche,  coupée en deux par un muret surmonté d'un écran de verre transparent percé de quelques trous pour laisser le son passer. Tout semblait si neuf et propre, et je ne pouvais que faire la comparaison avec la prison dans laquelle Nokomis avait été enfermée, vieille, salle, avec ses tuyaux fuyants, son réseaux électrique antique, et son absence de salle de visite, celle où je l'avais vue étant en réalité le réfectoire aménagé pour l'occasion, m'avait-elle appris. Ici, étaient enfermés des criminels bien plus endurcis, des pédophiles et violeurs, des récidivistes, et pourtant tout semblait tellement plus propre et clément que ce à quoi avaient été confrontés Nokomis et les autres suomen... C'en était révoltant. 

Le gardien nous fit nous asseoir face à la vitre sur les deux chaises prévues à cet effet, avant d'aller se placer derrière nous, proche de la porte. Il semblait clair que nous n'allions pas pouvoir avoir de discussion en privé avec un tel prisonnier. Après l'évasion de Hadès, plus personne ne voulait prendre de risque vis à vis de la sécurité, et une autre personne qu'Emilie se serait sans doute vue refuser cette visite. C'était donc une occasion unique de peut être enfin percer à jour le mystère des crimes de Ten Mak'ol. J'essayai cependant de ne pas trop avoir de grands espoirs. Il était possible que Marc Lange ne sache rien, ou qu'il choisisse de ne rien révéler qui risque d'allonger sa peine... probable même. Je déglutis donc et tentais de me concentrer pour ne rien rater de l'interview la plus importante de mon existence. 

SauvagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant