La vérité finit toujours par refaire surface

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Je me réveillai non pas dans mon lit, mais avachie sur l'épaule d'une Nokomis elle même effondrée dans le canapé, dans un sommeil profond. Sur la table basse, trônaient encore les vestiges de la soirée de la veille, tandis que Thomas ronflait, couché en travers du fauteuil laissé en travers du passage menant jusqu'à l'escalier. La télévision, au volume minimal, égrainait les images du journal de midi, indiquant que j'avais décidément bien profité de la matinée de cette journée d'anniversaire pour me reposer.

Prenant soudain conscience de la position dans laquelle j'étais, joue contre son épaule, main sur sa cuisse, la sienne sur mon épaule, je me dégageai. Des souvenirs de la nuit m'assaillirent, tandis que ma gorge asséchée par l'alcool me suppliait d'aller la désaltérer. La proximité qui avait régné entre moi et Nokomis, sous l'influence de l'alcool, avait été bien plus grande que celle qu'il devait régner entre de simples amies. Je n'avais peut être pas souvent eu d'amitiés profondes avec d'autres femmes, mais je savais que nous avions dépassé une ligne, un cap, que je ne pensais pas être capable de traverser - et qui m'effrayait terriblement. Je n'étais pas lesbienne, j'en étais persuadée, je ne pouvais pas ressentir ce genre de chose pour Nokomis. Mais je n'arrivais pas non plus à me persuader qu'il ne s'agissait que d'un désir purement sexuel, dirigé par mon récent dégout vis à vis de toute idée de coucherie avec la gente masculine. Ce qui devait signifier que, dans ce coeur en proie à un tourbillon d'émotions contradictoires, existait plus qu'un simple sentiment amical à l'égard de ma colocataire. Plus qu'un simple désir sexuel.

Ce devait être de l'amour.

Je me levai, en tentant de faire le moins de bruit possible, et me dirigeai vers la salle de bain pour m'asperger le visage et boire un verre d'eau bien froide, afin de tenter de me remettre les idées au clair. Je tremblais légèrement. Aimais-je vraiment Nokomis? Peut être n'était-ce que passager. Peut être l'alcool avait-il fait ressortir mon manque affectif sous la forme de ce comportement qui me ressemblait si peu. Mais si ce n'était pas le cas? Et que penserait Nokomis, une fois réveillée et sobre? Elle avait agi de manière sensiblement similaire, mais cela signifiait-il qu'elle pouvait ressentir la même chose que moi? C'était si... improbable. J'avais l'impression que mon monde d'effondrait une énième fois en découvrant cet aspect inconnu de ma sexualité, comment était-il possible d'imaginer que Nokomis puisse traverser le même chemin au même moment? Elle s'était probablement simplement attachée à moi, et devait être une personne s'attachant très fort à ses amis. Il suffisait de voir à quel point elle avait chéri les boucles qu'elle m'avait offerte... Son amitié pour Elodie avait été si grande, et maintenant... c'était mon tour. Elle m'avait confié, offert ces gouttes de son passé dans l'espoir de me transmettre ses douleurs, de me prouver sa confiance, de graver notre amitié dans le marbre.

Je ne pouvais briser cette confiance. Je ne pouvais accepter ces sentiments. Je ne pouvais me laisser aller à risquer de les laisser éclore, ne serait-ce qu'un peu plus. Il me fallait les enfouir. Les étouffer. De manière à ce qu'ils restent à jamais un secret que seul moi connaîtrait.

Mes mains étaient légèrement tremblantes. Je me haïssais de vouloir à ce point retourner m'endormir dans les bras de Nokomis, et pourtant tout mon corps me hurlais de le faire, de profiter de cet instant éphémère, secret, dans le secret de l'appartement endormi, pour céder à cette tentation, ne serait-ce qu'une fois.

Mais qu'aurai-je fait si elle était venue à se réveiller ainsi? J'étais si secouée et effrayée par mes propres sentiments, si persuadée de leur impossibilité, et, implicitement, de leur malice, que je me refusai d'y céder. On dit souvent qu'un être humain n'est pas façonné à la naissance, mais par son éducation, et que celle-ci laisse des marques indélébiles qui sont très difficiles à effacer. Comment réaliser à quel point l'éducation rigoureusement catholique dispensée par mes précepteurs, sous ordre de mes parents, s'était infiltrée au plus profond de ma personnalité? Il est simple d'accepter que l'homosexualité est normale, tant qu'on y est pas confronté. Ce ne sont que paroles, qui ne mènent pas forcément à de quelconques actes, et c'est la raison pour laquelle elles sont si simples à prononcer. Mais devoir accepter que j'étais, moi même, capable d'aimer une autre femme, c'était rappeler les cours de théologie engravés dans mon inconscient, malgré le fait que ma raison les ais effacés depuis longtemps de mon esprit. J'avais l'impression de commettre l'irréparable en aimant Nokomis. Que ce sentiment était comme un péché qui ne pouvait être absout, comme une trahison de la confiance qu'elle avait placée en moi. Tout comme Julian m'avait enfermée dans un monde où l'idée de faire l'amour à un homme me donnait la nausée, mes parents m'avaient enfermée dans un univers ou, peu importe tous les mots vides que je prononcerai, je continuerai de relier l'homosexualité au mal. Cela n'était pas indélébile, bien évidemment. Mais, pour pouvoir l'effacer, il fallait encore que je prenne conscience de ce problème - et, à cet instant, malgré mes yeux dévorant du regard la clavicule exposée d'une Nokomis endormie alors que je revenais dans la salle de vie, cet aspect inconscient de mon raisonnement m'était invisible.

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