Tension

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-Kinn'rehi! S'exclama Da-jee-ha, sa voix résonnant dans la grande caisse de résonnance qu'était sa demeure. Téléphone pour toi.

Je me levai paresseusement du matelas sur lequel je m'étais affalée quelques heures auparavant et avais immédiatement sombré dans les affres du sommeil. Les jours précédents avaient été particulièrement éreintant, Da-jee-ha ayant visiblement décidé que je devais prouver ma valeur de toutes les manières possibles, à tous les instants de la journée, au reste des habitants du village. J'avais donc - à tour de rôle - appris à tirer à l'arc, déneigé la place principale, participé au nourrissage des bêtes, été emmenées à une partie de chasse, participé à couper du bois, soutenu une poutre que Neh'mu devait réparer suite aux précédentes chutes de neige, et bien d'autres menues tâches dans le petit village suomen qui ne semblait jamais en être en manque. Je n'en ressortai pas sans satisfaction, le simple fait de porter les tuniques dont j'avais moi même participé à brodé les complexes motifs ayant un petit quelque chose en plus, mais j'étais surtout vidée de toute énergie, chaque muscle de mon corps criant de douleur et exigeant que je cesse de bouger. J'avais l'impression qu'une sangsue s'était attachée à moi sans que je ne le remarque et me drainait chaque jour un peu plus de tout mon sang. Je n'avais pas de souvenir d'avoir, de toute mon existence, déjà autant sollicité mon corps.

Lorsque mes pieds touchèrent le sol en bois de la plateforme sur laquelle je dormais, un douleur lancinante commença à vibrer dans mes jambes, et la simple idée de descendre à l'échelle me sembla être une torture. Je soupirai, mais m'y trainai tout de même, ma fierté ne me permettant pas d'apparaître comme affaiblie par toutes les tâches auxquelles j'avais dû prendre part. Peut être Da-jee-ha voulait-elle voir jusqu'où elle pouvait me pousser avant que je m'effondre, tout en étant parfaitement consciente que ma blessure encore récente venait m'arracher de terrible cris de douleurs dès que je forçais un peu trop. Ou peut être espérait-elle, en me tenant occupée ainsi, tenir mon esprit à l'écart de certaines choses - comme l'idée de quitter Ar'henno, ou mes pensées qui dérivaient inévitablement vers Nokomis et Thomas quand je ne les concentrai pas sur autre chose. Si la vérité tenait de cette deuxième possibilité, alors Da-jee-ha avait parfaitement atteint son objectif, puisque je n'avais eu que peu d'occasion de me morfondre sur ces questions là, puisque je m'effondrai, anéantie de fatigue, sur mon matelas dès que j'avais un peu de temps libre.

L'échelle descendue, je traversai la pièce et saisis le combiné tendue par la maîtresse de maison et son visage toujours fermé.

-Allô, Ester Rosonn à l'appareil.

-Ah, Madame Rosonn, je parviens enfin à vous contacter. Répond une voix grave mais féminine à l'autre bout du combiné. Parlementaire Acha Kabiyene, au téléphone. Votre avocat...

-Oui, j'ai été prévenue, Madame Kabiyene. Répondis-je.

-Ah! Parfait, dans ce cas. Vous êtes particulièrement difficile à contacter, malgré votre omniprésence dans les médias de nos jours.

-J'ai laissé des instructions au Señor Valerio. Répondis-je simplement. Quant aux médias, je n'y ai que peu d'accès là où je réside actuellement, et n'ai donc pas vraiment conscience de ce qui s'y dit. C'est pourquoi j'aimerai savoir pour quelle raison me contactez vous?

-Bien sûr, Madame. S'empressa de répondre Acha Kabiyene. Comme vous devez vous en douter, vous êtes devenue une figure emblématique de la lutte pour l'égalité des suomen, et avez fait prendre conscience à beaucoup de personnes, y compris moi même, de l'ampleur du scandale d'état que recèle le traitement de cette minorité par les autorités de notre pays. La question est en passe de devenir un thème central de la présidentielle à venir, et notre parti ainsi que notre candidat souhaitent mettre en avant leur programme concernant la question suomen.

SauvagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant