Chapitre 8.2

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Je pris place. Lucius, à ma gauche, siégeait en bout et son fils en face de moi. La table immense n'aidait pas à me faire me sentir à l'aise. De chaque côté de mon assiette s'alignait une rangée de couverts. Si c'était l'idée d'un repas intime, je ne voyais pas trop de différences avec celui de l'autre jour avec tous les chefs de clans. Comment allais-je tenir tout un dîner dans une ambiance aussi étriquée ? Je n'osais même lever les yeux vers mon hôte, trop impressionnée par sa stature et sa présence. Il n'avait pas prononcé un mot depuis qu'il nous avait surpris devant les portraits dans le couloir. Sohren n'avait pas desserré les lèvres non plus. Un serviteur apporta l'entrée, sous cloche évidemment, dans un cérémonial digne des familles princières.

Un silence quasi religieux baignait la pièce, troublé seulement par le bruit des couverts sur les assiettes. J'essayais de manger avec lenteur et non avec ma voracité coutumière. Je sentais qu'ici, cela aurait été déplacé de se comporter en bon loup-garou. Chez les Alphas, un code de conduite différent existait. Rien de convivial dans les plats déposés directement devant nous, chacun s'abîmait dans la dégustation des mets, pas un échange de regards. Le calvaire !

Alors que je m'essuyais la bouche après avoir fini mon assiette, je me retrouvais sans savoir quoi faire en attendant le dessert. Je saisis mon verre, plus pour me donner une contenance que par soif.

— C'est barbant n'est-ce pas ?

Je faillis recracher la gorgée d'eau que je venais de boire. Je déglutis avec quelques difficultés avant de fusiller mon vis-à-vis du regard.

Tu choisis à chaque fois ton moment pour t'inviter dans ma tête.

Ça ne serait pas marrant sinon. Tu m'as l'air un peu tendue. Certainement pas les repas dont tu as l'habitude.
C'est le moins que l'on puisse dire. C'est toujours aussi... guindé ?

Malheureusement oui.

Un léger raclement de gorge me fit tressaillir et interrompit notre conversation télépathique. Je me redressais automatiquement sur ma chaise, osant jeter un rapide coup d'œil à ma gauche. Impassible, Lucius s'essuyait la bouche. J'allais de nouveau baisser la tête quand il se tourna vers moi.
— Le repas a-t-il été à votre convenance ?

— Oui, balbutiais-je. Merci pour ce repas.

— Je ne vais pas vous cacher que c'est mon fils qui a insisté pour vous inviter aujourd'hui. Même si c'était un caprice de sa part, et que je n'aie pas pour habitude d'y céder, votre venue se trouve l'occasion pour moi de vous connaître un peu mieux, dans un environnement moins formel.
Je ne voyais pas la différence avec le dîner officiel, à part le comité plus restreint.

— Je me doute qu'il ne s'est pas gêné pour utiliser la télépathie durant ce repas, reprit-il tout en jetant à Sohren un regard perçant.

Je fus soudain mal à l'aise en pensant qu'il ait pu surprendre notre conversation. C'était un Alpha après tout. Mon trouble ne dut pas passer inaperçu, car il s'empressa de me rassurer.

— Loin de moi l'idée de m'introduire dans votre tête. J'ai un peu plus de savoir-vivre que mon fils. Je ne communique pas par esprit interposé sans invitation.

Sohren leva les yeux au ciel tout en se calant dans son siège. Il devait avoir l'habitude d'entendre des remontrances de la part de son père. Pour autant, il ne paraissait pas y accorder une grande attention.

— Je voulais la détendre, s'exprima-t-il d'un air détaché. C'était trop silencieux comme repas.
— Et parler tout haut comme une personne normale ne t'a pas semblé la moindre des politesses ?
— Je ne voulais pas perturber vos habitudes, père.

La formulation de sa phrase était on ne peut plus respectueuse, mais le ton insolent qu'il employa dénotait une intention tout autre.

Le visage du chef Alpha se durcit instantanément devant son attitude impertinente. Mal à l'aise, j'étais le témoin involontaire de leur relation tendue. Ravalant péniblement ma salive, je cherchais un moyen de briser le silence pesant qui s'était réinstallé alors que les deux hommes se confrontaient du regard. Peut-être réglaient-ils leurs comptes par télépathie en ce moment même ? Je triturais nerveusement la serviette posée sur mes genoux. Vite trouver quelque chose d'intelligent à dire. Il m'impressionnait tellement que mon cerveau bloquait. Aucun sujet de conversation intéressant en vue. Je ne pouvais pas laisser la situation en l'état pourtant.

— J'aurais voulu savoir si vous possédiez des informations sur mes parents.

Mes deux hôtes reportèrent leur attention sur moi aussi sec. Je n'en revenais pas moi-même d'avoir sorti ça ainsi. Dans le genre mettre les pieds dans le plat, je venais de faire fort. Mes joues devinrent brûlantes de honte. Je fus à deux doigts de me cacher sous la table pour fuir leur expression d'incrédulité. Sohren fut le premier à se reprendre et à arborer un sourire moqueur. Au moins, j'avais stoppé la crise qui s'annonçait.

Retrouvant un calme apparent, Lucius me fixa quelques secondes avant de parler.

— C'est un sujet que je comptais aborder, jeune Alpha. À la fin du repas, pour être précis.

— Je suis désolée. Je ne voulais pas m'imposer.

— Ce n'est rien. Nos manières doivent différer de celles du Complexe et vous paraître un peu... trop cérémonieuses, j'en conviens. Prenons le dessert et après nous aurons tout le temps de discuter dans le salon autour d'une tasse de thé.

J'acquiesçais timidement.

La tarte au citron meringuée était à l'image des précédents plats un chef d'œuvre visuel et gustatif. Je la dégustais avec bonheur, refrénant mes coups de cuillère. Une part supplémentaire, voire deux, m'aurait bien tentée, mais je n'osais demander. 

Protège-moi  - T.2: L'Alpha [ Terminé ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant