Chapitre 14.1

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Je ne soufflais pas un mot de ma visite au Manoir à Arenht. Pas question de remuer le couteau dans la plaie. Une accalmie semblait s'être installée, notre routine reprenait entre entraînements, balades en pleine nature même si mon incapacité à me transformer teintait ces sorties d'un arrière-goût amer. Je faisais tout pour qu'il cesse de se tourmenter de son geste. Pour autant, je pouvais constater que derrière ses sourires, une ombre persistait. Je voulais croire qu'il parviendrait à surmonter cette culpabilité, penserait à autre chose. Les évènements qui se profilaient allaient répondre à mon souhait plus vite que je ne l'espérais.

Apparemment, le Groupe L avait pris la décision de sortir de l'ombre et pour cela il avait mis les moyens. Le mouvement fut tout d'abord insidieux. L'ombre se profilait hors de notre champ de vision avant de progressivement pointer le bout de son nez jusqu'à nous. Ce furent de vagues rumeurs au début. Les équipes mises en place pour les patrouilles nocturnes dans les grandes villes environnantes furent les premières à se rendre compte du danger : Toronto, Mississauga, Hamilton, Ottawa. Ils l'avaient fait. Leurs créations venaient d'être lâchées dans la nature. La situation ne tarda pas à empirer. Les rapports s'accumulaient sur les bureaux des chefs de clan, témoins du drame qui se jouait à leurs portes. Le plan du Groupe L se révélait peu à peu au grand jour, la toile qu'il avait patiemment tissée dans l'ombre se matérialisait sous nos yeux. Chaque jour, des corps étaient retrouvés sauvagement égorgés. Les journaux locaux parlaient de bêtes sauvages. Cette menace anecdotique ne tarderait pas à faire les gros titres si nous tardions à réagir.

Intervenir en ville semblait la seule option pour enrayer les attaques, mais il était indispensable que d'autres meutes unissent leurs forces aux nôtres. Seuls, nous n'avions que peu de chance de changer la donne vu la surface à couvrir. Lucius n'avait pas attendu les conséquences du sérum pour agir. Dès l'annonce de leur production, il avait mis en place une coopération avec notre chef, mettant à notre disposition les agents et le matériel nécessaire. Les autres meutes étaient plus réticentes à l'idée de travailler en équipe, préférant se la jouer en solo. Arenht, Antonh et Doc continuaient de faire la tournée des clans, ne ménageant pas leurs efforts pour leur faire entendre raison. Pourtant les avantages à faire front contre l'ennemi étaient limpides. Les loups-garous et leur satané orgueil ! Tous aussi têtus les uns que les autres. Ils n'avaient apparemment pas conscience de la gravité de la situation. Ce n'était pas faute d'essayer de les avertir. En attendant, nos effectifs avaient plus que doublé grâce aux agents de Lucius et des patrouilles mixant les deux meutes avaient commencé leurs rondes nocturnes en ville. Nous n'étions pas de trop pour écumer le dédale des rues où leurs ombres pouvaient sévir.

Depuis trois semaines, nous avions mis en place les rondes. Lucius s'occupait de ratisser Ottawa, tandis que nous nous chargions de Toronto. Les morts ne faisaient que s'accumuler et nous n'avions pas encore mis la main sur un des responsables, une des bêtes créées par le groupe L, des humains ordinaires soumis à l'effet pervers du virus mis au point par nos ennemis. D'humain à substitut de loup-garou, il n'y avait qu'un pas, ou plutôt qu'une injection qui les propulsait dans un monde de ténèbres et de soif de sang. Incontrôlable, là était tout le problème.

Expirant lentement, je veillais à ne pas faire plus de bruit que nécessaire. Plus de deux heures derrière ce vieux bar miteux à faire le pied de grue sans avoir rien vu d'autre que des hommes fin saouls à l'humour plus que lourd. La présence d'Arenht les avait heureusement découragés à m'approcher. Cela m'avait évité d'avoir à leur faire ravaler leurs blagues salaces. Extérioriser mon énervement aurait pu être appréciable, mais pas très discret.

Je m'étirais un peu, le cou, les épaules. Rester immobile aussi longtemps, concentrée et à l'affût, rien de tel pour nouer les muscles et provoquer des tiraillements désagréables. Un coup d'œil à mon coéquipier me fit grimacer de jalousie. Il restait aussi statique qu'une statue, ne montrant aucun signe de gêne ou d'impatience. En même temps, il avait l'habitude de rester longtemps en position debout en tant que garde du corps de Declan. Pour ma part, mes membres me démangeaient et me poussaient à remuer de temps à autre pour trouver une position un peu plus confortable, ce qui n'était pas gagné. J'entrepris de m'intéresser à la façade du bâtiment en face de nous pour ne plus penser aux minutes qui prenaient un malin plaisir à s'écouler avec une lenteur torturante. Un mur de briques grisâtres, qui avaient dû être d'une couleur proche du rouge dans ses jeunes années. Une unique fenêtre ouvrait son regard sur la rue, trouant fatalement la surface sombre. Une lumière déversait péniblement son éclat par les carreaux obtus. Quelqu'un qui avait du mal à trouver le sommeil. 

Protège-moi  - T.2: L'Alpha [ Terminé ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant