Année II, Chapitre 11 : Cette chose fragile dans la poitrine

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John était assis contre le mur des toilettes. Ça allait bientôt faire quatre heures que Sherlock et Jim avaient entamé la préparation du remède. Ils étaient tous deux accroupis à l'autre bout de la salle, entourés d'un amas de fioles renversées et de plantes qui rampaient sur le carrelage humide, tentant d'échapper à la cuisson. Ils étaient tous deux silencieux, comme plongés dans un état d'hyper concentration. Ils se lançaient parfois des regards en souriant et poussaient des exclamations amusées lorsqu'ils se rendaient compte qu'ils avaient fait une erreur de dosage ou de timing et que la préparation devenait visqueuse ou rose bonbon.

John ne voyait pas ce qu'il y avait de si drôle. S'ils se trompaient, s'ils faisaient une erreur trop importante, Greg pourrait y passer.

"Aaaaah ! S'ils sont pas mignons tous les deux !"

Mimi Geignarde venait d'apparaître à ses côtés, couchée sur le ventre, le menton dans les mains et les pieds se balançant au-dessus de sa tête. John soupira bruyamment.

"Oh, ne fais donc pas cette tête. Laisse-les s'amuser. C'est rare, ce lien qui les unie."

"L'amitié ?"

Mimi cacha son rire derrière sa main :

"L'amour. Le vrai. Surtout pour des génies sociopathes comme eux."

"Ma mère m'a dit que le véritable amour ne peut se trouver que quand on est assez mature."

"Pour les idiots, c'est vrai. Mais quand on est comme moi ou eux, l'amour ne se trompe pas. Tu l'as vu, non ? Sherlock n'est pas du genre à se faire des amis. Il envoie balader tous ceux qui se moquent dans son dos et ignore ceux qu'il trouve insignifiants. Comme cette Molly Hopper. Et il privilégie les relations avec ceux qui savent l'aimer ou l'admirer, parce qu'il a besoin de se sentir important auprès de personnes qu'il admire lui-même. De sentir qu'il n'est pas lui-même insignifiant."

"Vu comme ça, c'est un peu triste." ajouta John en se demandant s'il était possible que Sherlock l'admire.

Mimi se mit à fredonner une chanson.

"Et ton cœur à toi ?" demanda le blond avant même de s'en rendre compte.

Mimi fut surprise de la question.

"J'ai été amoureuse, une fois. Tu sais, j'étais le genre de fille dont on ne se souvient de l'existence que quand on a pas envie de faire ses devoirs ou qu'on a pas révisé pour son contrôle d'histoire de la magie. Je n'avais pas vraiment d'amis, et j'étais parfois tombée amoureuse - tu sais ces amourettes dont on sait que ça ne durerait pas. Mais je n'osais parler aux autres."

Elle s'assit en tailleur et regarda Jim et Sherlock. Sherlock regardait avec intérêt une explosion de fumée jaillie du chaudron, tandis que Jim le détaillait, les sourcils légèrement froncés.

"Je suis tombée réellement amoureuse à leur âge. Mais je ne lui ai jamais dit. C'était un élève populaire venu d'une grande famille. (Elle poussa un soupir rêveur :) Jamais je n'avais vu quelqu'un d'à la fois si beau et intelligent."

Elle prit sa tête dans sa main.

"J'avais un journal intime, mais une petite idiote de Serpentard me l'a volé en cinquième année. Elle a découvert le nom de cette personne que j'aimais en secret de plus en plus depuis trois ans et est allé tout raconter à tout le monde. Évidemment, ils n'ont pas arrêté de m'embêter avec ça."

Quel plaisir peut-on éprouver à exhiber tous les secrets de quelqu'un comme ça ? s'indigna John.

"Quand la personne de mes rêves l'a appris, elle m'a donné rendez-vous dans ces toilettes-ci. Je m'étais dit que c'était sûrement pour se moquer, mais je suis venue avec l'intention de me venger. Rien ne s'est passé comme je m'y attendait."

John fronça les sourcils : qu'était-il arrivé ? Sherlock et Jim éclatèrent de rire tout bas dans leur coin, comme deux voyous sur le point de faire une bêtise, indifférents à leur discussion. Mimi, elle, fit un grand sourire.

"Nous nous sommes embrassées ici la première fois. Elle m'a dit que ses amies étaient des cas désespérés et qu'il ne fallait pas croire à ce qu'elles disaient. Je m'en souviens encore : elle était à Serpentard, moi à Poufsouffle. Elle avait une baguette très particulière et elle surpassait même certains professeurs en sortilèges. Puis depuis on ne se quittait pas. Elle jetait des maléfices à ceux qui m'embêtaient et on travaillait ensemble. On étudiait des choses interdites, mais le programme de l'école était de trop bas niveau pour nous. On préférait les horcruxes, la magie noire et toutes ces choses-là."

"Et après ?" demanda John à Mimi qui était perdue dans ses songes.

"Cette peste m'a assassiné."

John cru un instant qu'elle plaisantait, mais sa voix froide et haineuse lui assurait le contraire.

"Dans cette cabine. Je ne me sentais pas bien ce jour-là, comme si mon cœur me hurlait de ne pas y aller. Il cognait dans ma poitrine pour me prévenir de ce qui allait arriver. Un sortilège de Mort. Et puis je ne l'ai jamais revue."

John voulut demander pourquoi, mais il se dit qu'il était plus sage de se taire. C'était tout de même de l'assassinat de Mimi qu'il s'agissait. Il comprenait maintenant ce qu'elle voulait dire.

"L'amour et la logique, ça ne va jamais ensemble. L'amour est une anomalie que la logique ne peut permettre. Sherlock et Jim sont tous les deux une énigme que l'autre veut résoudre ; une énigme spéciale, compliquée, presque insoluble, bien plus que tous les gens normaux. Le cœur des gens comme eux ne s'ouvre pas facilement. Et quand finalement les sentiments se révèleront être des traîtres, ils se scelleront à jamais."

John songea longuement à ces paroles perturbantes. Il n'avait jamais pensé que le masque d'indifférence et de faits qu'arborait son ami était en fait un bouclier. Il regarda Jim et Sherlock. Ils s'embrassaient, penchés au-dessus du chaudron, inconscients de la discussion qui avait eu lieu à l'autre bout de la pièce et de la présence du blond et de la fille décédée. Sherlock semblait un peu surpris et Jim souriait avec malice.

Les masques laissaient entrevoir leurs visages. Ils avaient l'air heureux.

Et John sentait que quelque chose de grave s'annonçait.

Son cœur se mit à cogner bruyamment dans sa poitrine. Comme pour le prévenir...

Les chants de la Mort - Sherlock fanfictionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant