Année IV, Chapitre 5 : Les abeilles et la rose

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"Si tu me lâches, je t'étripe." prévint Mary.

Elle patinait - si on pouvait appeler ça patiner - sur le lac gelé, ses mains refermées sur celles de John. Les autres élèves tournaient en spirale sur la patinoire improvisée et les dépassaient sans problème.

John soutenait Mary et avançait à reculons.

"Comment ça se fait que tu saches patiner ?" se plaignit-elle.

"Il y a un petit lac pas loin de chez moi. J'y allais souvent avec ma sœur."

Sur ces mots, il la lâcha.

"John Watson ! Reviens ici tout de suite !"

Ledit Watson s'enfuit en patinant avec grâce tandis que Mary le poursuivait pratiquement à quatre pattes. Lorsqu'il regagna la terre ferme, il sprinta.

C'est essoufflé qu'il arriva à la lisière de la forêt. Là-bas se trouvaient des ruches qu'Hagrid s'était procurées à l'issue de l'une des nombreuses conversations aux sujet des abeilles avec Sherlock. Comme le demi-géant ne savait pas s'en occuper, Sherlock leur rendait souvent visite.

John le rejoignit, restant tout de même à une distance de sécurité. Mary, elle, n'hésita pas à s'approcher. Sherlock avait apporté un bidon de sirop - celui qu'elles préféraient selon ses dires.

Il fumait une cigarette : la fumée les empêche de communiquer et les rend moins agressives, avait-il dit.

"Elles n'hibernent pas ?" demanda Mary.

"Elles hivernent. Des abeilles spécialisées ont pour fonction de battre sans arrêt des ailes pour générer de la chaleur dans la ruche. Mais elles peuvent toujours mourir de faim, c'est pour ça que j'apporte du stock. Tu peux approcher, John, elles ne sortiront pas."

John se décida à faire quelques pas en avant.

"Il y en a une là !" se plaignit-il.

"Oh, fit Sherlock. C'est un mâle, il va mourir. Ils sont chassés de la ruche parce que la reine ne se reproduit plus, en hiver. Ils n'ont plus d'utilité."

"J'aime bien l'idée..." dit Mary avec un sourire en coin.

"Elle se rapproche !" s'inquiéta John en se penchant pour éviter l'abeille.

Il partit en courant. Mary et Sherlock le rattrapèrent.

"On a peur des abeilles, Watson ?" se moqua Mary en lui donnant une tape sur l'épaule.

John ne répondit pas et fixa le sol. Sherlock comprit que quelque chose n'allait pas et tira sur la manche de Mary. Elle comprit à son regard qu'elle ferait mieux de se taire.

"On va être en retard pour le repas, dit-elle. Allons-y."

§

"Pourquoi tu ne me l'avais pas dit ?" demanda Sherlock, presque sèchement, même si là n'était pas son intention.

"Toi tu ne dis jamais rien quand on te demande."

"Oui mais là c'est moi qui te demande."

Ils étaient tous deux assis à table, à l'écart des autres. Mary était allé discuter avec Marvin à qui des élèves de Gryffondor avaient volé les affaires et les avaient accrochées au sommet d'une tour.

"De quoi tu parles au juste ?" soupira John, ne comprenant pas de quoi il voulait parler.

"Pour les abeilles. Oh ! Je suis tellement stupide ! J'aurais dû le remarquer bien plus tôt !"

"Quoi les abeilles ?" s'énerva John.

Sherlock se tut.

"Ta mère y était allergique."

John baissa la tête. Avant de la hocher doucement. Puis il se remit à le fixer.

C'était le problème avec Sherlock. Il finissait par tout savoir.

"J'avais quatre ans. Ma mère et moi on se baladait dans une petite prairie, à côté de la maison de mon grand-père, dans le Sussex. On faisait un pique-nique rien que tous les deux : Harry était chez une de ses amies et mon père travaillait. C'était une journée magnifique..."

Il ravala un sanglot difficile.

"Je lui ai dit de fermer les yeux pendant que j'allais lui cueillir des fleurs. Il y en avait des centaines autour de nous, mais je me suis éloigné pour aller chercher les plus belles..."

Sherlock passa par-dessus la table pour s'asseoir à côté de lui et l'inciter à continuer.

"Je suis revenu avec des boutons d'or, des marguerites et des graines de pissenlit. Je savais que ça lui ferait plaisir, elle adorait les fleurs. Mais, quand je l'ai rejointe... elle était déjà... elle était déjà..."

Il étouffa un nouveau sanglot et Sherlock le prit dans ses bras. Le cœur du sociopathe se brisa lorsqu'il sentit le corps de son ami trembler comme une frêle chose.

"Morte." fini le brun.

Intérieurement John le remercia de l'avoir compris et incité à en parler.

Il se souvenait d'avoir secoué sa mère, d'avoir hurlé à s'en déchirer la gorge, jusqu'à ce que sa voix ne s'éteigne. Il se souvenait d'être revenu en courant, trébuchant dans la boue et s'égratinant dans les ronces, jusqu'à la maison de son grand-père. Il se souvenait de la colère et du chagrin sur le visage d'Harry lorsqu'elle l'avait saisi au col.

Il se souvenait du regard indifférent de son père quand il le regardait, comme s'il n'existait plus pour lui.

Il n'avait pas perdu que sa mère, ce jour-là. Tous ceux qu'il avait jamais aimé s'étaient laissés couler avec elle.

Sherlock sentit les larmes de John mouiller sa chemise. Ce n'était pas de ta faute, mourait-il d'envie de dire. Comment est-ce que ça pourrait être de ta faute ? Quelqu'un d'aussi bienveillant, d'aussi humain... d'aussi toi.

Il ne savait pas comment le lui dire.

§

Les portes de la grande salle s'ouvrirent alors que les élèves se dirigeaient vers la sortie. Cependant, personne n'avança. Mycroft, qui fut le premier à perdre patience, se fraya un chemin pour voir ce qu'il se passait.

Il crut qu'il allait vomir.

Il se tourna vers Sherlock, qui était tout devant, les yeux fixés vers la rose des vents tracée dans le mur avec du sang. Accompagnée de la suite de lettres :

NOOO.NEE.S.SO.O

SEEE.SSO.SSSO.SSO.SOOO.NEE.SOOO

O.NEE.SOOO.S.NEE.SSSO.NOOO

SOOO.NEE.NOOO.SOOO.S.NOO.NO.NEE.SOOO

SSSE.NEE.O

NOOO.SOOO.SSO.SEE.O

John regarda son ami avec inquiétude : il était anormalement pâle.

Il chercha Mary du regard, mais celle-ci s'enfuyait déjà en courant.

Les chants de la Mort - Sherlock fanfictionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant