Deauville

835 36 10
                                    

Comme pour me donner envie de bel et bien devenir superstitieuse, le mardi qui arrive n'est pas une bonne journée.
Premièrement, la ville aux cents clochers a la merveilleuse idée de m'arroser de sa plus belle averse alors que je me rends en cours -sans parapluie- à 9h le matin. J'y ai échappé par je ne sais quel miracle la dernière fois, il ne fallait pas s'attendre à ce que le destin m'accorde une fois de plus une telle chance.
Toujours lors de la matinée, un professeur me rend une dissertation sur laquelle j'ai passé une soirée entière à me prendre la tête pour la réussir du mieux possible, et résultat : 9/20. Il y a noté des encouragements et m'a brièvement expliqué comment mieux organiser mes idées, tout en m'assurant que j'en avais largement les capacités mais que je ne m'y prenais juste pas de la bonne façon. Ça n'empêche pas ma jauge de plombage-de-moral de se remplir un peu plus.
13h. La petite salade que j'ai pris en vitesse dans mon frigo ce matin n'était en fait pas la bonne ; celle-ci attendait là depuis plus longtemps et n'est plus du tout comestible, à en juger l'odeur. Il existe des midis où je n'ai pas faim. Là, en l'occurrence, mon ventre n'a pas manqué de gargouiller pendant mes deux heures consécutives en amphi. Je n'ai plus qu'à me lever pour aller m'acheter autre chose en vitesse.
Le temps de marcher, une autre averse s'abat sur ma tête. Sinon ce n'est pas drôle.
À 15h30, je rentre chez moi, il n'y a par chance aucun nuage menaçant présent dans le ciel. En descendant du tram, je repère par contre autre chose de menaçant : une Laguna grise. Pas que j'ai une haine particulière envers ce modèle de voiture, mais j'ai plutôt une bonne raison de m'inquiéter en la voyant.
Elle est garée, son conducteur n'est pas là, mais je reconnais bien la plaque d'immatriculation.
C'est la voiture de mon père.

Oh non. Tout sauf ce taré.

Le croiser est ma toute dernière envie sur la liste de ce que je ne veux pas, et je crois qu'elle le restera jusqu'à la fin de mes jours. C'est d'ailleurs pour ça que je me sens obligée de trottiner pour m'éloigner le plus vite possible de l'engin et de son propriétaire possiblement à proximité.
Une fois assez loin, je pense pouvoir reprendre une allure tranquille, mais c'est sans compter sur la voiture -une autre cette fois- qui klaxonne derrière moi puis ralentit alors que je marche sur le trottoir.

- Hé toi ! Ça va ? me lance le mec du côté passager.

Je ne l'ai jamais vu de ma vie. Ils sont deux, et je ne les connais pas du tout.

- Ouais, ça va, je réponds brièvement sans attarder mes yeux sur eux.

- Tu rentres toute seule ? Monte, on te ramène !

- Non merci, c'est gentil mais je suis plus très loin.

- T'es sûre ?

- Oui oui.

Le conducteur roule à ma vitesse, donc assez lentement. Comme par hasard aucune voiture n'est là pour débarquer derrière eux et les klaxonner impatiemment pour qu'ils soient obligés de tracer leur route. Non non, cette dernière est déserte pour le moment.

- T'habites vers où ? J'crois t'avoir déjà remarquée y'a un moment mais je t'ai jamais revue.

- Euh bah... pas très très loin, vers là-bas, je lui lâche avec un geste très vague de la main.

Je ne lui apporte aucune aide mais c'est parce que je n'ai également aucune envie de lui dire où j'habite.
Il y a un petit silence durant lequel je marche toujours en fixant droit devant pour tenter d'ignorer le mec à ma gauche. Malheureusement, le petit rire du conducteur m'oblige à jeter un regard du coin de l'œil. Le passager est à sa fenêtre et m'observe juste en souriant. C'est terriblement gênant. Mes mains deviennent moites.

Sous InfluenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant