Hôtel

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18h, je sors du lycée, capuche de ma large veste noire rabattue sur la tête et sac sur les deux épaules. Ma journée a comme d'habitude été horrible. Pas besoin de préciser pourquoi, je pense que tout le monde en a deviné les raisons. Mais aux problèmes de réputation se sont rajoutés les problèmes de cours, puisque je me suis remise à travailler plus ou moins sérieusement. Et toute cette pression m'étouffe ; le bac en fin d'année, je ne pense plus qu'à ça. J'ai tellement peur de ne pas l'avoir. Mais en même temps, si je l'ai, où vais-je aller l'année prochaine ? Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire ?
En plus, je n'ai toujours pas accepté d'aller voir la psy, me persuadant malgré tout que ce n'était pas la peine, même si je suis consciente de me mentir à moi-même.
Bref, depuis le temps, j'ai l'habitude des journées pourries, vous me direz. Mais en ce moment, c'est plus dur que d'habitude, pour la simple et bonne raison que je me force à rester dans ma chambre chaque soir, comme ce qui était prévu. Et comme je l'avais prédis, chaque soir, je ne m'endors pas avant au moins 3h. Le pire dans tout ça, c'est que mes trois heures de sommeils restantes ne sont même pas réparatrices ; c'est un sommeil agité, nerveux, tout sauf reposant.
Je ne peux rien prendre pour me calmer le soir, puisque je n'ai rien à disposition chez moi. Et je ne peux appeler aucun des gars, puisqu'ils sont la plupart du temps déjà soûls. Et Orel, n'en parlons pas ; maintenant qu'il bosse à l'hôtel chaque nuit, il n'a en aucun cas le droit de recevoir des appels. Même s'il est seul la plupart du temps, il n'est pas censé passer la nuit au téléphone. Et puis de toute façon, je ne pourrais même pas parler, moi, à cause de mes parents. Donc c'est réglé.
J'essaye quand même de le voir quelques fois, avec Gringe, le soir en rentrant du lycée. Mais c'est toujours très bref, je ne peux jamais rentrer plus tard que prévu sous peine de me faire griller. C'est comme si je leur disais bonjour, que je rigolais cinq minutes puis que je devais déjà repartir.
La plupart du temps, ils se creusent les méninges pour leurs textes. Ils s'y sont bel et bien remis, et pas qu'un peu. C'est l'une des très rares choses qui me remplit de joie en ce moment. Ils me demandent même de les aider à trouver des synonymes, des rimes, des champs lexicaux, des figures de style à placer sous prétexte que, je cite :

« - T'es en filière L, c'est ton domaine nan ? »

Je fais souvent mine d'être fatiguée par leurs demandes mais en réalité, j'adore leur donner des coups de mains. J'y resterais bien toute la soirée, à faire fumer mon cerveau avec eux pour trouver la meilleure tournure de phrase. Mais ça n'arrive jamais. Je pars toujours bien trop tôt.
Ces bons moments sont si courts que j'ai le sentiment de ne pas avoir eu une vraie conversation avec eux depuis des mois et des mois. Je me sens par conséquent beaucoup plus seule que jamais. Mes nuits sont blanches, mes idées noires. C'est dur à vivre, mais je fais avec.
Un soir, mon père est insupportable. Je veux dire, plus que d'ordinaire. Il a une dent contre moi. Il me provoque, m'engueule pour chaque geste, me rabaisse en me répétant que je n'aurai jamais mon bac. Tout ça alors que je me tais, que je ne sors plus, que je ne bois plus, que je reprends une scolarité à peu près normale. Ma vie a toujours été comme ça dans la tête de mes parents, certes. Ils ne sont pas totalement au courant de ce qui se trame en réalité. Mais là, il n'y a aucune raison à ce que mon père s'en prenne à moi comme ça.
Surtout que, depuis un bon moment maintenant, il devient exécrable. Il nous respecte de moins en moins, nous parle vraiment mal, surtout moi. Il se fait tout servir, il est agressif, bref, il se prend pour le roi pendant que nous, nous lui faisons à manger, nous nettoyons l'appartement, nous faisons les courses...

- Comme si sortir de ta chambre plus tôt pour mettre la table allait te tuer, râle-t-il alors que nous sommes en plein repas. Y'a quoi de si intéressant pour que t'y restes cloîtrée comme ça ?

- Ça s'appelle réviser, je réponds en fixant mon assiette.

- Oui, oui, réviser, bien sûr. Tu foutais rien et d'un seul coup tu t'y remets ?

Sous InfluenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant