J'ai le nez plongé dans mes cahiers, assise seule à une table au milieu d'autres lycéens. Je m'ennuie tellement dans cette vie que je révise de plus en plus souvent. Mes "copines" sont censées me rejoindre d'ici peu, mais ne semblent pas se presser pour autant. Alors j'attends. Ça ne me dérange pas d'être seule, en vérité. Je préfère même la solitude à être entourée de gens. Mais c'est surtout le regard des autres qui me dérange ; ils doivent penser, je ne sais pas, que je n'ai pas d'amis par exemple. Certains ont même l'air d'avoir pitié, et je déteste ça.
Cela fait presque une semaine que j'ai discuté avec Aurel. Je l'ai revu assez souvent, mais on ne s'est pas reparlé. À vrai dire il ne m'approche pas lorsqu'il y a des gens autour. C'est sûrement mieux comme ça. Je crois qu'il me lance quelques regards, parfois, mais je n'en suis pas vraiment sûre.
Alice, celle qui ne m'aime pas, ne me calcule plus vraiment, et j'en suis très satisfaite. Tant qu'on m'oublie, ça me va.
La chaise vide en face de moi grince. Je lève les yeux de ma leçon d'anglais.
Léonie, Manon et Léa s'assoient a ma table, en pleine discussion.- Mais non, moi j'ai prit le sujet B. L'autre était trop compliqué, j'ai rien compris je te jure !
- Pareil, j'espère que j'aurai une bonne note. J'ai trop peur de m'être plantée.
Je ne sais pas comment elles font pour toujours parler de leurs notes, ou des cours. Elles ne s'en lassent pas, et n'ont pas l'air décidées à changer de disque. Même moi qui, d'habitude, était celle qui restait la plus sérieuse niveau études dans ma bande d'amies, en ai marre de leurs discussions tournant autour de ça.
- Ariane, range tes affaires, faut qu'on aille manger, dit Léa.
- Ouais. J'arrive, je lui réponds.
Je ferme mon cahier et m'exécute. Puis je les suis jusqu'au réfectoire.
Dans la queue, elles parlent d'un contrôle de littérature que l'on a eu il y a deux jours. Je n'interviens pas. Je n'interviens pas souvent, en fait. Je suis constamment dans mes pensées et n'ai pas envie de faire semblant de m'intéresser à leur discussion.À la sortie des cours, à 18h, la même bande de potes est une fois de plus devant le lycée. À croire qu'ils rêvent d'y retourner. J'écoute à peine ce que me dit Manon et préfère les observer de loin. C'est toujours pareil ; les gens sont rivés sur eux, sur ce qu'ils font. Surtout les filles.
Manon doit se rendre compte que je ne l'écoute pas du tout car elle se retourne pour regarder ce que je fixe.- Ah ben ouais, j'aurais dû m'en douter, elle lâche.
Je secoue la tête.
- Non, pardon, je t'écoute. Tu disais quoi ?
- Laisse tomber. Tu vois, on se disait avec les filles que t'as l'air vachement absente quand ils sont là quand même. Encore plus que d'habitude je veux dire.
C'est sûrement vrai, et je suis assez gênée qu'elles l'aient remarqué et qu'elles en aient parlé entre elles dans mon dos.
Je tente quand même de nier l'évidence.- Non, rien à voir avec eux. J'aime bien regarder des gens faire du skate, voilà.
Je vois bien que Manon n'est absolument pas convaincue, mais elle fait mine d'acquiescer.
- Mouais, si tu le dis.
Je replace correctement mon sac à dos.
- J'y vais. À lundi, je finis par dire.
Elle s'approche pour me faire la bise.
- Ok, à lundi.
Je traverse la route sans prendre le temps de regarder. J'ai le temps d'entendre des exclamations et de tourner la tête à gauche pour voir quelqu'un me foncer tout droit dessus et me gueuler quelque chose.
- BOUGE !
Trop tard. La personne tente de m'esquiver comme elle peut, mais me percute quand même et nous fait tomber dans un grand fracas.
Les gens s'exclament encore. Je me retrouve dos au goudron, la tête qui tourne, abasourdie par le choc, un lourd poids m'écrasant. Celui-ci se relève vite en jurant. J'ouvre les yeux, et reconnaît Gringe malgré le soleil qui m'aveugle. Je m'assois difficilement, encore chamboulée et ne sachant plus où me mettre.
Il me tend une main. J'hésite une seconde et l'attrape, surprise.- Ça va ? demande-t-il en m'aidant à me relever. Putain, j't'avais pas vue.
Son ton n'est pas énervé. J'étais pourtant persuadée de me faire détruire, lui qui n'a pour le moment jamais été très courtois avec moi.
- Oui, je... moi non plus, désolée...
- ENFOIRÉ, MON SKATE ! hurle quelqu'un en accourant vers nous. Putain mais t'aurais pas pu faire gaffe en traversant toi, pauvre conne !
Je reconnais la voix d'Aurel.
Je me sens tout à coup fondre sur place. Je ne m'attendais pas à ce qu'il m'insulte, une nouvelle fois, devant tout le monde. Je baisse la tête, très intimidée tout à coup.
Et dire qu'il s'est excusé.- Pardon, je suis vraiment désolée... je marmonne comme l'idiote que je suis.
Aurel arrive à notre hauteur et son visage change d'un coup quand il m'aperçoit.
- Ah mais, Ariane ? C'était encore toi ?
C'est vrai qu'on se croise un peu trop à mon goût.
Il n'est plus du tout agressif. Je ne comprends pas tout, mais ça me rassure un peu.- Oui. Pardon pour ton skate, je suis désolée j'avais pas vu que...
- Laisse tomber, c'est pas grave. Toi par contre fils de pute, s'il est pété tu m'le repaye, dit-il en s'adressant à Gringe.
Celui-ci s'écarte pour aller ramasser l'objet en question.
- C'est bon, il a rien ton skate de merde. Au plaisir, fusée, dit-il en me faisant un signe de la main et remontant la pente au trot.
Ça fait quand même deux fois qu'il m'adresse cette même phrase.
Je me rends compte que les lycéens nous regardent encore, attendant probablement le moindre geste. Je ne sais même pas s'ils nous entendent vraiment, mais mon ventre se noue de plus belle. J'en ai assez d'être au centre de l'attention.
Aurel se retourne pour voir ce que je fixe. Puis, il prend la parole.- Ah ouais. Tu peux partir tranquille, j'vais faire un truc pour les divertir à ces fouines. Et au fait, ce soir, viens au skate park à 22h. Sois pas en retard.
Il n'attend pas ma réponse et s'éloigne en roulant. Vu que je me retrouve seule, je m'en vais rapidement aussi, pendant qu'il fait une ou deux figures. Quand le lycée se retrouve assez loin derrière moi, je ralentis le pas et repense à ce qu'il s'est passé. Je me suis une nouvelle fois affichée devant tout le monde. J'espère qu'ils oublieront ce chapitre pendant le week-end, sinon à moi les regards de travers lundi.
Les mots d'Aurel me reviennent à l'esprit.
Il veut donc que je le rejoigne ce soir à 22h. Je souffle nerveusement. Je n'ai même pas pu y réfléchir, tellement il a placé ça rapidement.
Pourquoi moi ? Pourquoi veut-il que je vienne ? Pourquoi est-ce qu'il ne m'a même pas laissé le temps de répondre ? Si je n'y vais pas, j'ai peur qu'il soit en colère. Le pire, c'est que ça ne devrait rien me faire, je ne lui dois absolument rien après tout. Mais je ne sais toujours pas de quoi il est capable si les choses ne vont pas dans son sens.
Et puis, je ne vais pas me voiler la face... je suis extrêmement curieuse. Qu'est-ce qu'il veut me dire ?
Sur tout le trajet du retour, je m'imagine un peu tous les scénarios possibles. Je suis décidée à y aller, à ce rendez-vous. Même si c'est certainement une mauvaise idée.
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Sous Influence
FanfictionLe déménagement dans cette ville pluvieuse signifiait pour moi le début d'une vie ennuyante, monotone, et solitaire. Seulement, je n'étais pas au courant de quelles rencontres j'allais bien pouvoir faire ici. Je n'aurais jamais cru me laisser empor...