Viens me chercher

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Les jours d'après, c'est pire que tout, au lycée. J'ai l'impression d'entendre chaque pensée de chaque personne qui pose les yeux sur moi. La rumeur court partout dans les murs du bahut, sans grande surprise. Dans la tête des élèves, maintenant, tout est très clair :
Ariane Randy chauffe des gars plus vieux qu'elle. Le pire, c'est que je suis persuadée que ça se sait, mais que la plupart ne voyaient même pas qui j'étais avant d'entendre ces conneries. Cette pimbêche de Cassandra m'a fait sortir de l'ombre alors que je ne demandais qu'à y rester.
En m'asseyant à ma table, en cours, je remarque que quelque chose a été récemment écrit sur le bois usé. Le mot « traînée » est très nettement lisible sur celui-ci. Je me rassure en me disant que c'est une simple coïncidence. Il n'y a pas que moi qui occupe cette table, après tout. Ou alors c'est peut-être juste une insulte griffonnée à la va-vite à l'intention d'une professeur, ce n'est pas un geste étonnant de la part d'un lycéen. Dans tous les cas, j'essaie de ne pas m'attarder sur ce détail.
Cassandra a totalement disparu, et pour être honnête, son parfait petit carré brun ne me manque pas. Malheureusement, Alice est toujours là, elle. Elle prend un malin plaisir à continuer ce qu'elle sait faire de mieux ; me piétiner ma confiance en moi, qui n'est pas très élevée de base.
Elle n'est plus la seule, d'ailleurs. Je ne sais pas si je deviens parano, mais j'ai l'impression de me faire bousculer plus souvent que d'habitude. Je veux dire, se faire bousculer, dans un couloir, quand il y a du monde, ça arrive à tous. Mais quand il y a de la place, que nous ne sommes pas si serrés que ça, et que quelqu'un passe si près qu'il parvient à me donner un coup d'épaule, ou à me faire tituber en me percutant dans le dos, tout ça plusieurs fois dans une même journée, je pense pouvoir commencer à me poser des questions.
Malgré ça, je suis les conseils de Gringe ; je garde la tête haute, j'essaie de ne pas fixer mes pieds, et j'ignore. Je laisse glisser.
Dans la même semaine, mes « amies » semblent totalement m'avoir zappé. Elles ne m'attendent plus, marchent rapidement comme pour me semer, ne tiennent pas compte de ma présence. Je comprends vite ce qui leur arrive ; elles essaient de se débarrasser de moi. Je les suis toujours, paralysée à l'idée d'être seule au milieu de tous ces gens pleins de fausses idée sur ma personne. Alors elles se regardent, gênées, mais ne disent rien de plus. Je ne les embête pas pour autant, je me tais, n'ouvre la bouche que très rarement.
Je ne pense qu'aux gars. Je regrette tellement qu'ils n'aient pas mon âge. Avec eux, tout est si simple. Rectification : je regrette de ne pas avoir leur âge.
Leur vie n'est pas rose, je l'ai bien compris, mais être avec eux est la seule chose qui compte pour moi à présent.
Je n'ai qu'une hâte, c'est de passer mon bac, et de quitter le lycée. Je ne sais pas de quoi sera fait l'avenir, mais j'ose espérer qu'il sera meilleur.

En attendant, je tiens bon, je serre les dents.

Sauf qu'un jour, les filles s'éclipsent très vite pour m'éviter, comme d'habitude, mais je n'ai plus le courage de m'accrocher à leurs baskets.

Elles ne veulent plus de moi. Tant pis.

Je décide alors de m'engager seule dans un couloir, perdue dans mes pensées, sans savoir où je me dirige exactement. Nous sommes en pause, et je me rappelle que dans quelques minutes, je vais devoir me diriger vers le réfectoire pour prendre mon repas. Cette simple idée me glace le sang.
Alors que je me déplace sans conviction, le regard rivé vers le sol, j'entends dans mon dos des gens arriver. J'attend juste qu'ils me doublent, faisant exprès de marcher plus lentement. Mais, étrangement, ce moment n'arrive pas aussi vite que ce que j'aurais cru ; je sais qu'ils se sont rapprochés de moi, mais je ne les entend plus. Je m'apprête à me retourner.
Un gloussement me stoppe net. Les personnes sont juste derrière moi, à quelques centimètres, puis une seconde après, finissent bel et bien par me doubler non sans me bousculer au passage, et en riant de plus belle.
Je les fixe s'éloigner, immobile au milieu du couloir, et j'ai d'un coup un étrange pressentiment. Je saisi mon sac à dos violemment, le passe devant moi, le retourne pour l'inspecter, puis me fige.
Sur le devant, juste en dessous de la fermeture, y est écrit le mot « PUTE » en majuscule, au blanco.
Je fixe cette insulte pendant plusieurs secondes, mon estomac se noue, ma respiration devient saccadée, et bientôt, une larme dévale ma joue, puis deux, puis ne s'arrêtent plus. Je m'accroupie là, au milieu du couloir vide et de toutes ces portes fermées, mon sac à dos toujours entre les mains, incapable de m'arrêter de pleurer silencieusement pendant quelques minutes.
J'ai réussi à encaisser, jusque là, mais cette insulte, cette énième humiliation, alors que je suis seule, cette fois, et que je ne demande toujours rien, est la goutte d'eau qui fait déborder le vase.
Je me sens plus vulnérable que jamais.
Je ne veux pas rester ici.
Je ne peux plus. J'ai bien trop peur.
Alors je dégaine mon téléphone et clique sur le numéro de Gringe. Il est comme une sorte de grand frère, depuis cette fameuse soirée où il m'a prise sous son aile. Je sais que je peux compter sur lui.
Une sonnerie, deux, trois. Je tombe sur sa messagerie.
Je compose le numéro de Matt. Celui-ci ne répond pas non plus.
Ils sont probablement occupés. À vrai dire, je ne sais même pas s'ils ont un travail ou non. Je n'ai jamais pensé à leur demander. Ils ne sont quand même pas tous au chômage ? J'ai du mal à croire aux rumeurs qui circulent dans cette ville, maintenant que je suis au cœur de l'une d'elles et qu'elle s'avère complètement fausse.
Je pense à Orel. C'est lui que j'ai le plus envie de voir, là, maintenant. Mais est-ce que lui en a envie ? Et surtout, est-ce que je ne vais pas plus le déranger qu'autre chose ?
Ce serait mentir que de dire qu'il est mon dernier espoir. En réalité, je pourrais très bien tenter d'appeler Clem, Bouteille, Ablaye, ou même Claude... l'un d'entre eux répondrait forcément. Mais même si je les aime beaucoup, ils ne me satisferaient pas autant qu'Orel, sur ce coup-là.
Je l'appelle, et commence à me diriger vers le grand escalier du hall principal.
Il décroche à la deuxième sonnerie.

Sous InfluenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant