Mon réveil sonne, comme d'habitude.
Je reste dans mon lit à râler, comme d'habitude.
Je me lève difficilement et me prépare, comme d'habitude.
Je pars de la maison sans dire au revoir à personne, comme d'habitude.
Puis je marche vers le lycée, musique dans les oreilles, comme d'habitude.
La même bande habituelle est là ce matin, ils ne me regardent pas, comme d'habitude.Je passe une journée ennuyante, comme d'habitude.
À la fin de celle-ci, où j'ai fait semblant de m'intéresser à ce que les filles racontaient et où j'ai aussi fait semblant d'être attentive en cours, je sors de l'établissement en me faufilant au milieu des lycéens. Seulement, en m'avançant vers la route pour la traverser, je vois toute la fameuse bande en train de s'amuser avec leurs skates sur celle-ci. Ils sont entourés de monde. Les élèves les observent faire des conneries, rigolent, bref. Ils sont au centre de l'attention.
Sans grande surprise, les filles de ma classe sont avec eux et se pavanent comme des pimbêches, près de Gringo (ou Gringe, je ne sais plus). Je cherche un peu Aurel, par curiosité. Il descend le long de la route et essaie de faire quelques figures, non sans jurer quand il se rate.
C'est incroyable à quel point les gens sont tous focalisés sur eux ; je veux dire, ce sont quand même juste des gars de 20 ans qui font du skate devant un lycée. Pourquoi ils attirent autant l'attention ?
Je décide de rentrer, mais je suis obligée de passer par la route qu'ils occupent. J'attends un peu, en retrait, qu'Aurel et son pote barbu remontent la légère pente. Quand ils sont en haut, je traverse rapidement. J'ai le temps d'entendre au même moment un bruit de roues se rapprocher de moi, puis de sentir un tapotement sur mon épaule lorsque le skate passe dans mon dos. Mon cœur se met à battre plus vite et j'accélère le pas en faisant semblant de n'avoir rien senti. C'est une réaction totalement débile, j'avoue.
Je m'engage sur le trottoir.
Aurel apparaît dans mon champ de vision, en souriant. Il me fait penser à un enfant pendant une demi-seconde.- Bah alors t'as essayé de t'échapper ? dit-il, moqueur.
Mon estomac se tord, et j'ai un peu chaud, tout à coup.
- Non, je rentre juste chez moi, dis-je en triturant le cordon de mon sac à dos nerveusement.
- Dès que j'te vois, t'as envie d'te barrer. Dis-le si tu m'aimes pas.
Il a l'air sérieux, tout à coup.
Je secoue très légèrement la tête, mais ne répond rien, déstabilisée. Je n'ai aucune idée de quoi dire, et ma panique s'accroît de plus en plus. Je dois certainement avoir l'air débile, comme d'habitude.
Aurel se met à rire.- Putain, calme-toi, j'rigole, t'as l'air méga tendue.
- Non, ça va. Euh... je vais rentrer.
J'ai l'impression de toujours répéter la même chose quand je suis face à eux.
- Oh non, pas cette fois. Tu sais skater ?
Je bug deux secondes, ne m'attendant pas à cette question.
- Euh, bah... non, pas du tout.
- Viens, essaie, rétorque Aurel en désignant son skate du menton, posé sur la route.
Quelques lycéens nous regardent, dont les filles de ma classe. L'une d'elles en particulier, celle qui m'a l'air d'être la plus mauvaise, Alice. Je ne me sens pas du tout en sécurité sous leurs regards. J'ai envie de m'échapper en courant.
- Non, merci, ça va. Je suis pressée en fait, et euh...
- Mais arrêêête, t'es pas pressée du tout. Allez, viens j'te dis, force Aurel en m'attrapant le poignet.
Je me dégage violemment, paniquée à l'idée d'être au centre de l'attention générale.
- Non ! je répond un peu trop fort.
Je n'aurais sûrement pas eu cette réaction idiote si tout plein d'élèves ne nous fixaient pas.
J'entends quelques rires au loin.
Mon geste ne lui plaît pas. Sa sympathie disparaît d'un coup et il me lance un regard noir.- Bon bah vas-y, qu'est-c'que tu veux que j'te dise, casse-toi, putain de coincée.
Ses mots me font encore plus mal que la première fois. Je regrette aussitôt ma réaction.
Il ramasse violemment son skate et s'éloigne sans me lancer un regard de plus. Alice se met à rire avec ses copines.
Je tourne les talons et m'en vais le plus vite possible, les joues en feu. J'ai l'impression de sentir tous les regards braqués sur moi.
Je me repasse la scène en boucle durant toute la route. J'ai honte. Pourquoi faut-il que je sois si timide ? Que je panique aussi vite ? Que je n'ai jamais les bonnes réactions ?« Casse-toi, putain de coincée ».
Pourquoi faut-il que je sois si coincée?
Arrivée chez moi, je jette mon sac à dos et m'enferme dans la salle de bain. Je prends une très longue douche, sans même prendre la peine de me démaquiller avant.
Aurel m'a foutu la honte devant une soixantaine de lycéens. Ou alors, c'est moi qui lui ai foutu la honte ?
Oui. C'est ça. Je lui ai foutu la honte.
Il ne doit pas avoir l'habitude qu'une fille lui refuse quelque chose. Mais à quoi il s'attendait ? Je ne suis pas aussi à l'aise et extravertie que d'autres. Il l'a forcément remarqué. Alors pourquoi il vient vers moi ?
En même temps, ma timidité n'excuse pas mon comportement. Je suis juste une idiote à avoir directement été sur la défensive. J'aurais dû refuser gentiment, et puis voilà.
Je me suis mise dans de beaux draps. Parce que je ne connais pas encore bien le fonctionnement de ce lycée et de cette bande, mais je suis quasiment certaine qu'aller à l'encontre de l'un de ces gars revient à avoir tout un régiment sur le dos. Ils sont beaucoup trop admirés pour qu'on me laisse en humilier l'un d'eux sans rien faire. Ça nuirait à leur image, sûrement.
Je ne cesse pas de me marteler la tête avec mes remords durant toute la soirée. J'appréhende déjà le lendemain, et j'ai un grand mal à trouver le sommeil.Pourtant, le matin arrive assez vite. Je ne peux rien avaler. Lorsque je passe devant le skate park, il n'y a personne. Je suis assez surprise mais pas mécontente.
Au lycée, je vois bien qu'on me regarde bizarrement. On se retourne sur mon passage, ou on me fixe en faisant des messes basses. Les pimbêches de ma classe n'arrêtent pas de rire. Tout ce que je déteste.
Je ne sais pas si les filles sont au courant. Elles font l'air de rien, en tout cas.
En fin de matinée, je me sens mal, alors je m'enferme dans les toilettes et pleure un coup, silencieusement. Ça me permet de relâcher un peu la pression. Je hais ça. Être au cœur de l'attention, être celle de qui on parle.
Je ressors quelques minutes plus tard, et croise Alice et ses copines. Elles explosent de rire, en s'assurant bien que j'ai tout entendu. Les larmes me montent une nouvelle fois aux yeux mais je les retiens en serrant les dents. Hors de question de montrer que ça me touche.La journée me semble durer une éternité. Je suis plusieurs fois sur le point de craquer, mais je tiens.
Je m'éloigne le plus vite possible du lycée, tête baissée, afin de ne croiser aucun regard insistant.
Encore une fois, il n'y a personne au skate park.
Chez moi, je fais rapidement mes devoirs, sans vraiment réfléchir. Je ne devrais pas les bâcler mais je n'ai pas du tout la tête à ça. Je tente de m'enfermer dans la salle de bain mais ma mère me stoppe dans mon élan.- Ariane ! Sois gentille, va chercher du pain, y'en a plus. Je te donne l'argent.
Je soupire et prends les sous qu'elle me tend.
- Tu vois où elle est la boulangerie ?
- Ouais.
- Bien. Fais vite.
Je sors de l'appartement. Il fait presque nuit. Je rentre dans la boulangerie et une dame forte me sert.
- Une baguette pas trop cuite s'il vous plaît.
Elle me la tend, je paie, et sors de la boutique. Machinalement, je jette un coup d'œil au skate park.
J'y vois une silhouette assise, seule, sur une rampe.
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Sous Influence
FanfictionLe déménagement dans cette ville pluvieuse signifiait pour moi le début d'une vie ennuyante, monotone, et solitaire. Seulement, je n'étais pas au courant de quelles rencontres j'allais bien pouvoir faire ici. Je n'aurais jamais cru me laisser empor...