Première fugue

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Il est 21h30. Je réfléchis toujours à comment je vais bien pouvoir sortir sans que mes parents ne le remarquent. Je n'avais pas du tout pensé à ça, tout à l'heure.
Ils vont se coucher vers 23h, habituellement. Ils sont dans le salon, devant la télé. Impossible pour moi de partir en douce, ils le remarqueront à coup sûr.
Je me creuse les méninges, assise en tailleur sur mon lit. J'opte pour la solution suivante ; j'attends que mes parents aillent dormir, vers 23h. Je patiente pendant quinze petites minutes, le temps qu'ils s'endorment, puis je m'en vais sans faire de bruit. J'aurai plus d'une heure de retard, certes. Mais au moins, je serai là.
Je ne sais même pas pourquoi j'accepte d'aller à ce rendez-vous. Je n'ai pas confiance en Aurel. Je ne le connais pas. Et, en temps normal, je ne serais jamais sortie de chez moi en pleine nuit, et sans l'accord de mes parents. Mais depuis que je suis dans cette foutue ville, ma vie est comme sans intérêt. Je m'ennuie. Tout me paraît fade. Il n'y a que cette bande, dont je ne connais pas grand chose, qu'on m'a conseillé de ne pas approcher, qui vient rajouter un peu de piment dans mon quotidien. Il faut que j'y aille.

22h.
Je m'enferme discrètement dans la salle de bain, histoire de me remettre un coup de parfum. Je me mords la lèvre en voyant l'heure qu'il est.
"Sois pas en retard", m'avait-il dit. Je partirais bien maintenant, sauf que mes deux bourreaux sont encore en train de comater devant la télé.

22h45.
Je les entends enfin se lever et éteindre les lumières du salon. Je me précipite sur l'interrupteur de ma chambre, pour qu'ils pensent que je dors déjà. Ils vont à la salle de bain, en ressortent quelques minutes plus tard et enfin, s'installent dans leur lit.
Je patiente, assise sur le mien, dans l'obscurité, pendant au moins vingts bonnes minutes. Quand celles-ci sont passées, et que je peux entendre des ronflements me confirmant bien qu'ils roupillent tous les deux, je me lève lentement de mon lit, déjà chaussée.
Vient maintenant l'épreuve du couloir, sur lequel la chambre ouverte de mes parents donne. Car, oui, ils dorment toujours la porte ouverte. C'est un détail qui ne m'avait jamais posé problème auparavant, mais je dois avouer que dans l'immédiat, ça me dérange beaucoup.
J'essaie de me déplacer de la manière la plus lente et la plus discrète possible. À un moment, mon pied bute sur quelque chose. Je me stoppe nette, me mords la langue et ferme les yeux, attendant une réaction. Un ronflement résonne alors dans l'appartement, et je soupire silencieusement, soulagée. Je continue ma route, du pas le plus léger possible. Après ce qui me semble être une éternité, j'arrive enfin devant la lourde porte d'entrée. J'appuie délicatement sur la poignée, entrouvre à peine et me glisse dehors avant de refermer tout aussi doucement.
Le couloir de l'immeuble s'allume sous ma présence, et je m'éloigne de chez moi d'un pas beaucoup plus naturel.

Arrivée dehors, je repense à pourquoi je suis sortie de chez moi en pleine nuit, et mon estomac se noue. J'avais presque oublié la raison de tout ça, et je suis maintenant terrifiée. Plus je m'approche du lieu de rendez-vous, plus je regrette ma décision.

Putain, mais qu'est-ce qui m'a pris ? Pourquoi je suis pas juste restée sagement dans mon lit douillet ?

Vient le moment pour moi de traverser la route. Je me mets sur la pointe des pieds pour tenter d'apercevoir le skate park, mais j'entends en suivant des bruits de rampe.

Ok. Donc ils sont là. Respire.

Je n'arrive pas du tout à respirer calmement. Je me pose mille et une questions.
Et s'ils étaient beaucoup plus que prévu ? Et s'il y avaient aussi les pimbêches habituelles ? Et si jamais on m'avait invitée juste pour se foutre de moi ?
En effet, je n'avais pas pensé à tout ça. C'était pourtant certain que je n'allais pas être seule avec Aurel. Il ne m'a pas posé un rencard, mais à quoi ai-je bien pu penser ?

Je marche de la manière la plus lente possible, et trouve la moindre excuse pour retarder mon arrivée.
Oh, mon lacet est défait.
Oh, c'est quoi ce truc par terre ?
Oh, tiens, j'ai un message. Ah non, c'est une pub...

Malheureusement, je finis bel et bien par arriver devant le skate park.
Il y a une vingtaine de personnes, soit postées sur les rampes, assises, soit en train de glisser. Ils ont une petite enceinte avec de la musique. Du rap, pour être exacte.

Ok, c'est peut être encore le bon moment pour se barrer. C'était une mauvaise idée, faut que je me casse, faut que je me casse...

J'ai le temps de voir quelques mecs tourner la tête vers moi avant de moi-même tourner les talons.

- C'est qui, ça ? j'arrive à entendre au loin.

Merde, putain.

J'accélère un peu le pas, en essayant de ne pas me mettre à courir non plus. À mon plus grand désespoir, j'entends des roues se rapprocher dans mon dos.

C'est foutu.

Un garçon noir de peau arrive puis me barre le passage, sourire aux lèvres.

- T'es qui toi ? Eh les mecs, v'nez voir !

J'entends derrière moi des roues se rapprocher. Quelques gars inconnus m'entourent. Je ne peux pas m'en aller car ils me barrent tous la route. Mes jambes se mettent à trembler. J'ai peur, j'ai même très peur à ce moment-là.

- Elle a pas l'air dangereuse, dit quelqu'un à ma gauche, avant de rire.

Je baisse immédiatement les yeux. Je me sens mal à l'aise, et je n'arrive pas à formuler une phrase correcte dans mon esprit. Mon cœur bat la chamade.

- Ta gueule, tu lui fais peur. Tu cherches quoi ici ? demande celui du début. T'as désobéis à papa et maman pour faire la rebelle ?

Il dit ça avec humour, je le sens bien, mais je n'arrive toujours pas à répondre. Je me contente de garder le regard rivé sur le sol, en attendant peut-être qu'ils se lassent et qu'ils me laissent tranquille. Je suis beaucoup trop intimidée pour pas grand chose.

- Attends, elle, elle va plaire à Clem. Les toutes timides, c'est son truc. Clem ! Ramène-toi mec, y'a une proie facile là ! lance alors un gars qui était pourtant en retrait jusqu'à présent.

Je me sens un peu humiliée.
Le mec qui vient de parler s'approche et met une main derrière mon dos pour m'avancer vers le skate park.
Le cercle de gars s'ouvre, et j'ose lever les yeux pour apercevoir avec surprise Aurel s'approcher en marchant d'un pas décidé. Quand il est suffisamment proche, le mec à côté de moi s'adresse de nouveau à lui.

- Il est où Clem ? On a une demoiselle à lui présenter.

- Putain, mais qu'est-c'que tu fous ? lui répond Aurel.

- Quoi ? C'est elle qu'est venue ici.

- Mais bouge tes mains toi, c'est moi qui lui ai dit de venir. Allez, barrez-vous de là.

Le mec me lâche enfin, mais ne s'éloigne pas pour autant.

- Genre, mec, TOI tu baises des gentilles filles maintenant ? Putain, t'as changé.

- Ta gueule, mec. Arrête de raconter de la merde.

Le gars se met à rire et s'éloigne.

- Ok, tranquille, on rigole.

La reste de la clique commence à s'éloigner. Le premier gars, celui qui avait fait de l'humour, se penche un peu vers moi.

- Désolé pour la frayeur ! il lâche chaleureusement.

Puis il s'en va aussi.
Mon cœur est encore en train de battre à 100 à l'heure et refuse de se calmer.

- Ouais, désolé pour l'accueil, lâche Aurel. Ils sont pas méchants, t'inquiète, le gars qui avait sa main dans ton dos c'est même pas vraiment mon pote. Toi aussi, j'te dis de pas être en retard, t'arrives une heure et demie après.

Je parviens, sans savoir comment, à formuler une réponse assez claire.

- J'ai eu... un petit imprévu.

- J'pensais pas que t'allais venir, pour être honnête. Tu me surprends sur ce coup-là.

Je replace une mèche derrière mon oreille.
Je pensais pas non plus que j'allais venir.

- Bon, viens, dit-il en se dirigeant vers le skate park.

Je prends une grande inspiration, et le suis.

Sous InfluenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant