Numéro

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Je m'attendais à ce qu'un silence glaçant s'installe pendant tout le trajet mais Aurel ne lui en laisse pas le temps, et se met directement à entamer la discussion.

- Bon d'après ce que j'ai vu tu t'es pas fait trop de potes ce soir.

- Non... juste quelqu'un est venu me parler, il s'appelait... Bouteille. Mais il est très vite parti.

- Ah ouais, Bouteille, c'est un bon gars. Et à part lui, c'est tout ?

- Ouais... je suis désolée. J'aime pas trop ce genre de regroupement. J'ai pas servi à grand chose, pardon...

Aurel se stoppe sans prévenir et écarte les bras d'un air consterné.

- Mais arrête de t'excuser tout l'temps ! Puis j'aurais dû me douter que t'allais pas t'éclater ce soir, j'avais déjà remarqué que t'étais la meuf la plus timide du monde.

Il exagère un peu.
Ou pas...?

Je n'ose rien répondre mis à part un petit sourire, ce qui confirme bien son jugement.
Je suis obligée de me forcer à ralentir la cadence, car je trouve qu'il marche à une vitesse très lente. Le chemin n'est pas censé être long, mais là, je sens qu'il va l'être plus que d'habitude.
Je l'observe furtivement du coin de l'œil. Il se déplace d'un pas nonchalant, sûr de lui, les mains dans les poches, son skate sous le coude. En réalité tout est nonchalant chez lui ; sa démarche, sa manière de parler, ses mouvements. Il me fait penser à un garçon qui se fout pas mal des règles, qui fait ce qui lui chante et qui n'en a pas grand chose à foutre de ce que pensent les autres. Il doit probablement être ce genre de personne, d'ailleurs. Malgré ça, il a quand même toujours cet air un peu enfantin sur le visage, comme s'il gardait une part d'innocence.
Je n'arrive pas à marcher naturellement. Le garçon à côté de moi me perturbe trop. Je suis tendue comme un arc, comme à chaque fois que j'ai un léger rapprochement avec un individu du sexe opposé. Enfin, "à chaque fois"... ça n'arrive jamais, en fait. Je les évite au maximum, car j'ai toujours été beaucoup trop réservée pour parler plus qu'amicalement à un garçon, pour entretenir une relation avec. J'ai presque peur d'eux, ils m'intimident, surtout lorsque je les trouve attirants.

"Attirants", sauf qu'il a sûrement plus de 20 piges, celui-ci. Donc ça n'a rien à voir. C'est juste qu'il est plus vieux, alors forcément, c'est là que ça intimide.

On entend un cri lointain qui me fait presque sursauter. Je m'arrête et me tourne vers Aurel pour voir sa réaction, mais ça ne semble pas du tout le choquer. Il jette un coup d'œil rapide en la direction d'où provient le bruit, et continue à marcher. Je me sens obligée de lui demander ce qu'il se passe en le rattrapant, surprise par son indifférence.

- Euh... c'était quoi, ça ?

- Ah, ça ? C'est des potes bourrés, sûrement. Rien d'anormal.

J'acquiesce (ce qui est plutôt idiot comme réponse sachant qu'il ne me regarde pas).
Des potes bien, bien bourrés alors.
Cette partie de la ville, légèrement éloignée, est beaucoup plus calme. Le bruit de nos pas résonne dans la rue sombre. Je songe au potentiel danger que peut représenter la situation dans laquelle je suis ; si c'est un malade, il peut très bien me faire ce qu'il veut, je n'aurai aucun moyen de défense. J'essaie d'oublier cette idée, avant de commencer à angoisser pour rien.
J'ai l'impression que le trajet dure toute une vie. Je suis tellement mal à l'aise, alors que lui, ça ne semble lui faire ni chaud, ni froid.
Finalement, nous arrivons devant mon immeuble. Je m'arrête sur le trottoir en face de l'entrée.

- Voilà, c'est ici. Merci de m'avoir raccompagnée.

- J't'inviterai pas les prochaines fois. Ça évitera de gâcher ta soirée.

Sous InfluenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant