Jeudi

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Il faut bien que je retourne en cours le lundi suivant.
Personne ne me demande pourquoi j'étais absente avant le week-end, probablement car personne n'en a rien à faire. Déambuler seule dans l'établissement, dans les couloirs, dans la cour, à la cantine ou dans la classe est très difficile pour moi, au début, mais bizarrement, je commence à m'y habituer. Pas complètement, mais c'est un bon début.
C'est triste, je trouve, quand on y pense. S'habituer à être délaissée, et commencer à l'accepter. Personne ne devrait vivre ça, à mon avis.
Je ne porte pas d'écharpe, cette fois, c'est à mes risques et périls. Je passe machinalement mes cheveux par dessus les traces, même si je sais que ça ne suffit sûrement pas pour que personne ne les remarque un peu. J'ai mis du maquillage par dessus, je me suis dit que ça allait comme ça. J'emmerde les gens que ça dérange.
Sans grande surprise, je n'ai absolument aucune nouvelle d'Orel. J'ai l'impression que les gens font exprès d'en parler quand je suis à proximité, mais je n'en suis pas non plus certaine. De toute manière, on parle pas mal d'eux, dans ce lycée, alors peut-être que ça n'a rien à voir avec ma présence.
Mercredi midi, je rentre des cours à pied, comme d'habitude. Quand je passe devant le skate park, les gars sont là. Ils me font signe de venir, je remarque qu'il n'y a pas Orel, mais je leur fait « non » de la tête. À vrai dire, j'aimerais plus que tout rester avec eux, mais je me suis promis de réviser, ce que je n'ai pas fait depuis un bon bout de temps. J'ai vraiment peur de rater mon bac et mes notes en chute libre ne me rassurent pas, alors j'essaie de prendre sur moi, de faire des efforts, même si ma seule envie est de me détruire la santé et de tout abandonner.
Arrivée dans ma chambre et sans prendre le temps de saluer mon frère, je me mets à relire mes cours. Je m'ennuie dès les trois secondes qui suivent l'ouverture de mes cahiers et j'ai du mal à rester concentrée. Mon esprit divague toujours ailleurs. Vers des choses qui sont plus ou moins les mêmes. Je secoue plusieurs fois la tête pour me reprendre mais c'est peine perdue, et au bout de quinze minutes de maintes et maintes tentatives, je finis par abandonner.

Je vais rater ma vie.

Je n'ai pas de projet, je ne sais pas ce que je veux faire. J'ai peur et je n'ai même plus envie d'avancer. Je me rends compte que plus les jours passent et plus je m'éteins à petit feu. Ma seule envie est de me recroqueviller sur moi-même et je trouve ça effrayant, comme perspective d'avenir, mais c'est plus fort que moi.
Tout est plus fort que moi.

Alors que mes yeux sont perdus dans le vide comme ils ont l'habitude de le faire, mon téléphone vibre.

« Clem : Demain soirée à l'Embuscade... te défile pas »

Cette nouvelle me réjouit sans vraiment me réjouir. Ce que je comprends de ce message, c'est que je vais pouvoir relâcher un peu la pression et que je vais probablement croiser Orel. Je m'en veux même de penser à ces deux choses-là en premier, et que le fait de passer une bonne soirée avec mes amis passe en secondaire.

Je les mérite pas.

Je réfléchis une seconde.
« Demain » c'est jeudi, donc je vais encore devoir à coup sûr rater les cours le jour d'après.
Je n'ai pas envie de me défiler pour autant. J'ai un peu trop besoin de cette soirée. Je veux me vider la tête, il est hors de question que je la rate.

Ma motivation à reprendre un bon rythme scolaire n'aura pas fait long feu.

Comme je n'ai rien d'autre à faire, et comme si cette pensée m'avait encore plus donné l'envie d'abandonner mes débuts d'efforts, je me lève de ma chaise pour aller m'affaler sur mon lit. Je m'endors, et ce pendant toute l'après-midi.

Quand je réouvre les paupières, il fait déjà sombre dehors. J'ai des fourmis dans le bras droit, celui sur lequel je me suis assoupie. J'ai le temps de me relever quand quelqu'un entre en trombe dans ma chambre.

Sous InfluenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant