Chapitre 3-4

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À ma vive contrariété, je constatai qu'Ashley était auprès de Jimenez lorsque je fis irruption dans le bureau. Elle me salua avec sa cordialité ordinaire. Visiblement, je venais d'interrompre leur conversation. Plongé dans mes pensées, je ne prêtais pas attention aux deux femmes.

— Appelez Isaac. Nous partons.

Sans laisser le temps de répondre à Jimenez, je filai vers l'entrée pour rejoindre mes hommes, derrière la maison, où ils m'attendaient pour faire le premier débriefing de la journée.

Il avait été décidé que seuls Fares et Miguel me suivraient chez Hamza. Nous serions tous accompagnés de nos gardes du corps, la maison risquait d'être bien remplie. En effet, cette réunion était l'une des plus importantes de la semaine. La Mitaras Almawt se réunissait rarement en si grand nombre tout simplement pour éviter une attaque-surprise de nos ennemies et un bain de sang qui pourraient lourdement affaiblir notre organisation. Mes hommes étaient donc plus nerveux que d'habitude, tous leurs sens en alerte.

— Il est préférable que vous nous suiviez, monsieur Khan. Fares et moi, nous ouvrirons la route.

J'acquiesçai d'un signe de tête pour approuver les paroles de Miguel tout en continuant de lire mes emails. Après un instant de silence, je relevai ma tête sur mes hommes qui attendaient ma permission pour partir dans leur véhicule. Je rangeai mon portable dans la poche intérieure de ma veste puis attrapai mon arme au dos de mon pantalon afin de vérifier qu'elle était bien fonctionnelle. En premier, je reculai la culasse qui restait correctement bloquée puis retirai le chargeur plein de balles afin de vérifier la tension du ressort. Miguel, Soan et Fares firent de même.

— Très bien, déclarais-je tout en rangeant mon pistolet en laissant la crosse dépasser. Si les choses venaient à déraper, mettez en premier mon assistante en lieu sûr.

Je me pinçai les lèvres en fermant un instant les yeux, agacé que Camilia ne comprenne toujours pas les risques importants qu'elles faisaient prendre à toutes ces personnes.

Jimenez m'attendait à l'arrière de la berline, elle avait l'air passablement déconfite à cause du manque de sommeil. Ce n'était pourtant que le début pour elle. Mes yeux se posèrent l'espace d'une seconde sur son haut que je reconnus immédiatement. Je l'avais retiré, un bon nombre de fois à Ashley. Bien sûr, je ne comptais pas le faire à mon assistante. Je réprimai une petite grimace et chassai cette idée horrible de ma tête.

— Chez Saleh, ordonnai-je à Isaac.

Je me calai au fond du siège en cuir et tournai les yeux vers ma fenêtre pour observer la lumière du petit matin. Cet instant où la nuit paraissait embrasser le jour avant de se retirer doucement, paisiblement. C'est alors que je me rappelai l'email de mon assistante, lu quelques instants plus tôt. J'avais relevé une erreur dans l'organisation de mon planning. À peine quelques heures qu'elle travaillait pour moi et déjà rien n'allait. Elle n'avait aucune compétence pour ce poste.

— J'ai reçu le nouveau planning que vous m'avez fait parvenir. Il n'y a aucun rendez-vous pour samedi.

Jimenez bredouilla :

— Oui, je ne sais pas exactement comment vous procédez ce jour-là. Je suis désolée, je ne suis pas disponible le week-end.

En entendant son excuse que je trouvais insuffisante, mon visage se tourna doucement dans sa direction. Je la transperçai de mon regard fixe et sans lui laisser le temps de se justifier, je déclarai sur un ton d'une austérité intraitable :

— Vous avez des avantages que peu de monde autour de moi arrive à obtenir, miss Jimenez. Vous avez de la chance de pouvoir vous reposer.

La jeune femme me dévisagea, contrariée. Bien que son attitude fût des plus respectueuses, son regard disait clairement "tu ne sais rien de ma vie, connard !". Je l'avais touché et ça me faisait plaisir. Allez, craque ! Fuis loin de moi. Je sentis pendant une fraction de seconde son hésitation, mais elle se ressaisit rapidement. Elle détourna ses yeux de moi et gonfla ses joues. Je levai un sourcil, surpris. Comment osait-elle ? Elle était à la limite de l'insolence ! Au lieu de s'excuser, elle sortit la tablette d'Ashley de son sac pour se remettre au travail. Jimenez avait ce don d'arriver à faire abstraction de la lourde atmosphère que je mettais entre nous. Pourquoi les paroles, le mépris, le danger ne paraissaient-ils pas l'atteindre ? Pourquoi ce poste paraissait-il vital pour elle ? Sans le vouloir, mon regard se posa sur son gros sac en tissus. Le baladeur à cassette que je vis à l'intérieur me fit froncer les sourcils. Je pensais que ces choses-là avaient disparu de la surface de la Terre, mais non ! Jimenez était une femme hors du temps et de la mode ce qui rendait les choses bien plus compliquées pour la détruire. Elle était une énigme à elle toute seule. Je réprimai un soupir et tournai de nouveau mon visage vers ma fenêtre.

Le paysage défilait sous mes yeux. Un paysage de montagne et de collines boisées offrant de superbes points de vue sur les villes environnantes. Les teintes vertes, bronze et dorées s'étiraient jusqu'à l'horizon, vers la côte déchiquetée où les montagnes paraissaient plonger dans la mer. Malgré ce spectacle éblouissant, à couper le souffle, je n'arrivais pas à être habité par la paix. Le commun des mortels pouvait mettre l'espace d'un instant leur vie sur pause pour profiter de ce qui pouvait leur faire du bien, moi j'en étais incapable. J'étais riche grâce à la Mitaras Almawt, une famille aussi puissante que dangereuse, mais cet argent, je n'en avais jamais vraiment profité. Mes pensées me ramenaient toujours vers mon père. Qu'aurait-il pensé de moi aujourd'hui s'il avait été toujours vivant ? Sa mort remontait à quatre ans exactement. L'immensité de mes regrets était décuplée par le fait qu'il ne me verrait jamais à la tête de son royaume. J'étais passé à côté de ces moments où j'aurais enfin pu exister pour lui, où il aurait été fier de moi. J'étais en colère pire, je me sentais coupable d'avoir ressenti à l'annonce de sa mort une véritable délivrance. Des souvenirs émergèrent, des souvenirs douloureux, violents que la nuit n'avait pas suffi à éloigner. Cet homme avait été un tyran de son vivant, mais je l'avais admiré et je l'admirais toujours.

Ugly Ronney T 2 : Yeraz [Français]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant