Les couches de peinture avaient totalement recouvert le sol. Assise en face de moi, Ronney avait encore du mal à retrouver son souffle. Épuisée, elle laissa retomber sa tête en arrière, contre l'étagère avant de déclarer d'une voix faible :
— Nous avons saccagé le magasin. Le propriétaire va être furieux.
C'était tout elle, penser d'abord aux autres. Je la rassurai :
— Les dommages et intérêts qui lui seront transmis couvriront les frais et bien plus, ne t'en fais pas pour ça.
Je regardai partout autour de moi pour évaluer les dégâts.
— Parfois, j'ai presque l'impression que tu n'es pas une si mauvaise personne, même si...
Mes yeux revinrent sur Ronney qui paraissait hésiter à terminer sa phrase. Elle me regardait avec sur le visage un mélange de tendresse et d'une émotion plus complexe. J'inclinai ma tête, amusé.
— Tu ressembles à Marge Simpson avec ce jaune qui dégouline sur toi.
Mon assistante releva son menton pour me regarder d'un air supérieur.
— Et toi, tu ressembles à Stitch, l'animal de compagnie de Lilo, le monstre extraterrestre.
J'éclatai de rire sans essayer de me retenir. Il n'y avait qu'elle pour me répondre dans les situations les plus cocasses. Ses mimiques étaient attendrissantes, même ce sourire avec cet appareil dentaire était plus joli que tous les autres, car sincère. Jimenez reprit son sérieux et déclara :
— Je dois rentrer prendre une douche.
Je ne voulais pas que Ronney s'en aille et voir mon ciel s'assombrir. Comme un aimant j'étais accroché à elle. Une soudaine angoisse monta en moi. Je fis non de la tête avant de répondre d'une voix sévère :
— Tu la prendras chez moi !
Contrairement à ce que je redoutai, Ronney ne se fâcha pas. Elle me fixait essayant de percer mes secrets puis demandait d'une voix douce qui m'apaisa aussitôt :
— Pourquoi as-tu tellement besoin que je sois là ?
Je détournai les yeux et fermai quelques instants les paupières avant de les rouvrir. Comment lui dire qu'elle était le pansement à une plaie dont j'avais toujours ignoré l'existence ? Comment lui dire qu'elle révélait le meilleur de moi ? Comment lui dire tout ça ?
— Je ne sais pas, Ronney. Il y a tellement de fantômes qui m'entourent. Ils s'en vont quand tu es près de moi.
Je revins planter mes yeux dans ceux de mon assistante. Elle ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit. Je m'entendis alors dire quelque chose que je n'aurais jamais cru possible :
— Écoute, Ronney. Viens t'installer chez moi, je te promets de te laisser de l'espace et de bien te traiter. Pose-moi tes conditions et je les accepterai.
Le silence retomba, insoutenable. Les secondes paraissaient durer des heures. Elles s'étiraient, interminables et sinistres. Je ne lâchai pas mon assistante du regard qui paraissait se battre avec sa conscience. Impatient, je finis par demander :
— Pourquoi hésites-tu, Ronney ?
Torturée, elle ferma les yeux et secoua énergiquement la tête.
— J'ai l'étrange impression de passer un pacte avec le Diable.
Sa remarque me fit sourire. Je ne pus m'empêcher de répondre avec ironie.
— Pourquoi n'essaierais-tu pas ? Il n'y a pas que du mauvais chez lui.
— Je préfère de loin son rival.
Je ne fus pas surpris par sa remarque.
— Le vieux monsieur ? Lui, il ne t'apportera rien, juste des illusions. Le Diable est moins silencieux. C'est peut-être un génie du mal, mais il reste un génie. Qu'est-ce que les anges, l'univers ou le vieux monsieur t'ont apporté dans ta vie ? Dis-moi.
Ma question ne parut pas l'ébranler un instant.
— L'impression d'être une bonne personne.
— Tu n'as pas une très bonne opinion de moi, je le sais. Pourtant, je ne fais que défendre les intérêts de milliers de personnes. Ce n'est que du business, rien de plus.
Ronney se renfrogna. Jamais elle n'accepterait la moindre excuse à propos de mes activités liées à la Mitaras Almawt.
— Ce n'est pas moi qui cohabite avec des fantômes.
Ma mâchoire se crispa. Je détournai mes yeux et m'apprêtai à me relever pour mettre fin à cette conversation qui commençait à m'agacer quand Jimenez me retint :
— D'accord.
Elle acceptait. Le poids sur ma poitrine s'envola. Jimenez s'empressa d'ajouter :
— Mais il faudra que tu te livres plus à moi. Je veux apprendre à connaître l'autre Yeraz, celui qui arrive à me faire rire.
Je hochai la tête et fixai le sol, concentré sur ses paroles. Elle continua :
— Plus d'armes contre moi ni aucune insulte à mon encontre.
Je ne pus retenir une petite réflexion :
— Pour l'arme, j'ai pourtant eu l'impression que tu avais aimé.
— Yeraz, je ne veux plus avoir peur de toi.
Je répliquai aussitôt d'une voix sincère :
— Je ne le veux pas non plus. Ce n'est plus ce que je souhaite.
— Donc, tu ne veux plus que je démissionne ?
Je soupirai en cherchant mes mots :
— Je ne crois pas. Je n'aurais jamais dû passer tous ces week-ends auprès de toi, Ronney. Tout ce temps... c'est... Maintenant, les choses sont différentes.
Mon assistante me fixait silencieusement. Je me sentais attiré par elle. L'envie de la prendre dans mes bras dominait tout le reste. Son téléphone sonna interrompant le charme de cet instant. Elle venait de recevoir un message qui d'après sa petite grimace ne paraissait pas lui faire plaisir.
— Ta mère veut me voir en fin d'après-midi.
Camilia ! J'avais complètement oublié ma dispute hier avec Hadriel et la scène avec Ronney qui avait suivi. Je me redressai en déclarant :
— Elle veut sûrement savoir s'il y a quelque chose entre nous.
Ronney rangea son portable en demandant d'une voix hésitante.
— Est-ce le cas ?
— Bien sûr que non !
J'avais répondu un peu trop rapidement. Jimenez, gênée, regretta aussitôt sa question. Je ne voulais pas m'attarder sur le sujet. Ni elle ni moi ne savions qu'était exactement la nature de notre relation. C'était à la fois tout et rien. Je m'approchai d'elle et l'aidai à se relever en prenant soin à ce qu'elle ne glisse pas.
— J'ai beaucoup de travail, aujourd'hui. Je dois passer chez Hamza cet après-midi. Isaac t'apportera tes affaires chez moi. Profites-en pour te reposer un peu.
Ronney hocha la tête et accepta de me suivre sans aucune résistance.
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Ugly Ronney T 2 : Yeraz [Français]
RomansaLa mafia et les gens normaux ne se mélangent pas à Sheryl Valley. Yeraz est le fils d'un des patrons du crime les plus brutaux des États-Unis. Il doit succéder à son père, assassiné quatre ans plus tôt, et prendre les rênes du royaume d'ici les six...