Je suspendis mes habits sur le côté de mon dressing avant de me diriger vers la commode en verre où était rangée ma collection d'armes à feu. Je nettoyai minutieusement mon 9mm qui ne me quittait pas de la journée puis le déposai d'un geste machinal à sa place, dans le meuble.
Depuis une dizaine d'années, mes journées se ressemblaient. Je commençais chaque matin par charger mon flingue et finissais chaque journée comme ça, seul. Sauf que ce soir-là, c'était différent. Le cas "Ronney" avait chamboulé tous mes plans, changeant mes habitudes, me faisant arriver pour la première fois en retard lors d'un évènement important. Je la maudissais d'autant plus pour ça.
Allongé sur mon lit, le regard tourné vers le plafond, je ne parvenais pas à décolérer de ce dimanche qui n'avait été qu'une péripétie d'imprévus. Après un long moment à essayer de faire le vide dans ma tête, le sommeil commença à alourdir mes paupières. Cette nuit, comme toutes les autres nuits, je rejoignis l'enfer. L'unique endroit où je méritais d'être.
Je jetai autour de moi, un regard égaré. Il se cachait là, dans l'obscurité. Mon esprit se débattait pour sortir de ce cauchemar avant qu'il n'arrive.
— Tue-le !
La voix qui venait de derrière moi me glaça le sang. La poitrine compressée, je luttai pour ne pas étouffer en respirant cette atmosphère empoisonnée. Dans le noir le plus total, je vis soudain son visage se détacher de l'ombre. Ses yeux terrifiants sur son visage à la pâleur effrayante me scrutaient attentivement. Mon cœur cessa de battre. C'est alors que mon père se baissa pour se mettre à ma hauteur.
— Tu as entendu, Yeraz. Tue-le s'il le faut, mais gagne ce combat !
Une lumière éclairait maintenant un ring et devant moi se tenait Esraa, les traits épuisés, le regard suppliant. Je me retournai vers mon père qui me fixait avec ses prunelles noires, aussi profondes que les ténèbres.
— Papa, il n'a que onze ans. Il est bien plus petit que moi. Je ne peux pas.
— Et alors ? C'est un combat, fils. J'ai misé beaucoup d'argent sur toi. Tout le monde est là pour te voir gagner.
À cet instant, une foule se tenait debout autour de nous, avec beaucoup de billets dans les mains.
— Envoie-le à l'hôpital. Je veux que tu lui éclates la mâchoire. Je veux le voir inconscient, mort.
Mon cœur battait plus fort à mesure que le ton de mon père montait. La peur me rendait prisonnier de cet endroit. Une phrase cherchait à prendre forme dans ma bouche, mais il manquait le son. Quand les combats de chiens ne suffisaient pas à divertir ces pères de famille, ils envoyaient leur fils se battre ensemble. J'avais commencé ces combats clandestins très tôt, huit ans ou neuf. Nous n'étions que des gamins, nous n'avions rien demandé.
Je me tournai vers Esraa, le visage bien tuméfié. Si je lui assénais ce dernier coup, mon père me laisserait tranquille pour quelques jours.
— Putain, qu'est-ce que tu fou, Yeraz ? hurlait mon père, furieux.
Une chose inhabituelle se produisit. La lumière vacilla doucement jusqu'à s'éteindre. Esraa disparut et la foule aussi. La salle s'était vidée. Seul mon père était là, figé dans le temps. Il ne bougeait plus. Ses traits, déformés par la colère, paraissaient incrustés dans du marbre tandis que les veines dans son cou ressortaient comme si elles allaient exploser.
Tout à coup, de lourdes portes nous encerclèrent. Je tentai de comprendre, mais sans succès. J'étais coincé dans ce corps d'adolescent et je ne parvenais pas à m'en débarrasser pour affronter mon père. Les yeux dans le vide, il ne me voyait pas, il ne m'entendait pas.
Soudain, les portes se mirent à vibrer avec fracas. Elles essayaient de s'ouvrir. Le bruit était assourdissant. Les verrous bougeaient, mais ne cédaient pas.
— Papa, appelai-je paniqué en regardant tout autour de moi.
Mon père restait immobile, prisonnier. Le verrou d'une des portes se brisa enfin. Je mis mon bras devant mes yeux pour me cacher de la lumière aveuglante qui sortait de là. Après quelques secondes d'hésitation, je baissai légèrement mon coude, les yeux plissés. Une silhouette se tenait dans l'encart de la porte. Même si celle-ci n'avait pas de visage ni vraiment de forme, je la reconnus à cause d'un détail qui ne pouvait pas m'échapper. Au bout de quelques instants, elle s'éloigna doucement dans ses converses rouges pour retourner dans la lumière, en emportant avec elle, mon père.
La menace qui pesait sur moi depuis tant d'années me quitta instantanément. Ma présence en ce lieu perdit alors un peu de son caractère sinistre. Je finis ma nuit sans cauchemar. Chose encore qui ne m'était jamais arrivée.
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Ugly Ronney T 2 : Yeraz [Français]
RomansaLa mafia et les gens normaux ne se mélangent pas à Sheryl Valley. Yeraz est le fils d'un des patrons du crime les plus brutaux des États-Unis. Il doit succéder à son père, assassiné quatre ans plus tôt, et prendre les rênes du royaume d'ici les six...