Chapitre 4-4

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Après plusieurs heures à débattre sur plusieurs sujets sensibles, la réunion touchée enfin à sa fin. Un petit coup d'œil sur ma montre m'indiqua qu'il était déjà quatre heures passées de l'après-midi.

Merwan, Alexander et les autres se retiraient dans un fort brouhaha, heureux de pouvoir vaquer à leurs occupations. De mon côté, je restais assis en observant la pièce se vider. Jimenez rangea ses affaires puis m'encouragea d'un petit sourire qui découvrit une partie de son affreux appareil dentaire. Réflexion faite, c'était peux être elle qui avait raison. Pendant l'espace d'un court instant, je lui accordais mon respect. Chose rare quand on me connaissait.

La seconde d'après, j'étais seule avec Hamza.

Derrière son bureau, le régent se cala dans son siège et alluma un cigare. Il aspira une longue bouffée tout en me regardant fixement à travers la fumée avant de m'interroger de son regard lourd et de sa voix rocailleuse, presque sourde.

— Comment se passe la formation de mon neveu ? On est venu me rapporter qu'il te donnait du fil à retordre. Il a du mal à se débarrasser de son empathie pour autrui. C'est un brave garçon.

— Je n'en doute pas, répondis-je en passant une main sur ma cravate. Ses débuts au sein de notre famille sont un peu compliqués. Il faut lui laisser un peu de temps.

Il se leva puis vint se placer à côté de son bureau, son cigare toujours entre les doigts. Amir et lui n'avaient aucun trait de ressemblance, au contraire, ils étaient aux antipodes l'un de l'autre. Hamza fronça les sourcils et déclara avec sévérité :

— Le monde se divise en deux catégories : les bêtes travailleuses et suiveuses et nous, les hommes de tête. Vous ressemblez tellement à votre père, Yeraz. Vous êtes du même calibre avec cette incontestable supériorité qui fait de vous deux, des hommes d'élite. Amir doit faire, lui aussi, partie de cette catégorie. Dans notre monde, il n'y a pas la place pour les sentiments.

Je répondis d'un ton lent et sans une once d'humanité :

— Ne vous inquiétez pas. Dans quelque temps, votre neveu aura perdu son âme. Faites-moi confiance.

Satisfait, mon interlocuteur relâcha ses épaules. Un poids venait de disparaître. Rassuré, il aspira une nouvelle bouffée puis leva une main dans les airs.

— Que voulez-vous, Yeraz ? Je n'ai que très peu de temps à vous accorder, mon programme est terriblement chargé.

Je me raclai la gorge. C'était ma dernière chance de faire entendre raison à cet homme sans utiliser le chantage, les menaces et créer une division au sein de la Mitaras Almawt.

— Il est crucial pour nous d'arrêter les élevages de chien de combat. Vous devez en finir avec cette tradition. C'est barbare et cruel.

Hamza répondit avec un rictus amusé

— Et c'est l'homme qui a enfoncé sans aucune hésitation une broche de cuisine à la base du crâne d'un type, avant-hier, qui me dit ça.

Je remuai la tête en m'emportant :

— ça n'a rien à voir ! Ce type savait ce qui l'attendait. Il était pourri jusqu'à l'os. Les affaires entre nous n'ont pas marché.

— Les chiens savent aussi ce qui les attend. Qu'avez-vous avec ça, Khan ?

Je me levai précipitamment de mon siège :

— Les animaux valent mieux que nous ! Nous avons déjà assez d'ennemies comme ça, de pattes à graisser, sans parler de la protection animale qui commence à regarder de notre côté. Et puis, il n'y a pas qu'eux, certains de nos collaborateurs comme Schröder ont horreur de ces pratiques de divertissement.

Je parcourais la pièce en me retenant de ne pas élever le ton même si la colère se faisait sentir dans ma voix. Mes yeux parlaient pour moi. Hamza m'écoutait avec attention. Il sentit que cette fois, sur ce point, je resterais inébranlable, intraitable. Il passa une main sur son menton, leva les yeux, l'idée faisait son chemin dans son esprit. Après un long soupir, il prit la parole :

— Je vais y réfléchir. Il faut juste penser aux conséquences que cela pourrait avoir sur le moral des hommes.

Il parlait gentiment et essayait de sourire pour calmer la situation. J'écoutais ses arguments avec patience, mais sans complaisance.

Quand il eut fini de déblatérer sur les traditions, l'histoire de notre famille et l'argent que l'on perdrait à arrêter les combats de chiens, Hamza fit demi-tour, mais s'arrêta avant de s'asseoir sur son fauteuil. Il se retourna vers moi et me fixa dans les yeux.

— Dans six mois, vous serez à la tête de ce royaume, j'imagine que ce sera la première chose dont vous allez vous occuper.

Le silence répondit à ma place. J'enfonçai mes mains dans les poches sans ciller du regard. Hamza s'affaissa, on aurait dit qu'il venait de perdre dix centimètres. Il secoua vigoureusement la tête en signe de désapprobation et ajouta, vaincu :

— Très bien, espérons que les autres ne vous en tiennent pas rigueur. Peut-être que le scrabble les intéressera.

Trente minutes plus tard, le début d'un accord sur l'interdiction d'organiser des combats de chiens était trouvé. Il m'aura fallu vingt ans pour tenir ma promesse faite à Amasis, à l'époque où j'avais encore mon âme. Elle était partie le jour où mon père l'avait tué devant mes yeux. Ce jour-là, ma vie s'était effondrée, la chute avait tout emporté, même la peur.

Hamza m'accompagna jusqu'au hall d'entrée. Fares et Miguel nous suivaient. À travers les grandes fenêtres, nous pouvions apercevoir Jimenez en grande conversation avec Lucas, notre avocat.

— Votre assistante n'a pas failli une seule fois pendant la réunion. Votre mère joue sa dernière carte avec elle. Pensez-vous qu'elle soit une menace pour les six mois à venir ?

— Elle ne passera pas la semaine ! affirmai-je d'un ton bourru en remettant mes lunettes de soleil sur le nez.

Hamza hocha la tête, mais ne put s'empêcher d'ajouter :

— Méfiez-vous, Khan. Cette femme a quelque chose que les autres n'avaient pas.

Je laissai échapper un reniflement sarcastique.

— Oui, je vous l'accorde. Elle a beaucoup de choses que les autres n'avaient pas.

Je faisais référence à son appareil dentaire, ses grosses lunettes et son accoutrement. Hamza ne releva pas ma remarque. Il préféra m'avertir :

— On imagine souvent les femmes comme elles, fragiles et naïves. Vous serez surpris de la trouver résistante et même puissante. Un conseil : ne sous-estimez pas le choix de votre mère.

Mon regard se porta sur Jimenez. À ce moment, je l'entendis rire pour la première fois. Comme sa voix, ce son était agréable. Ça paraissait si naturel pour elle de rire comme ça, devant un parfait inconnu. Je ne me rappelais plus la dernière fois que j'avais ri avec sincérité. En général, mon sourire me donnait une allure de fauve qui avait le don de calmer n'importe quel enthousiasme autour de moi. C'était même mauvais signe.

Hamza rompit le silence :

— Nous nous verrons mercredi avec Nino et ses hommes pour parler du partage des territoires de la ville.

J'acquiesçai d'un signe de tête. Il ouvrit la porte pour me laisser partir. Sans perdre un instant, je me dirigeai vers la voiture en faisant à peine attention à Lucas et à mon assistante. J'avais hâte de m'en débarrasser au plus vite.

Ugly Ronney T 2 : Yeraz [Français]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant