3 Hélène

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Le lendemain matin, je suis à peine sortie du lit que mon téléphone portable se met à sonner. Assise dans la cuisine devant ma tasse de café, j'y jette un rapide coup d'œil. Je ne connais pas le numéro. Qui peut bien m'appeler un samedi à neuf heures du mat ? J'hésite forcément à répondre.

—Oui, allô ?

—Salut Hélène, je suis en bas de chez toi, prononce une voix grave et... sexy.

J'ai failli en renverser mon café.

—C'est qui ? demandé-je timidement.

—Jim, pour la coloc. On se les gèle dehors, tu m'ouvres ?

Je suis sous le choc. Jim ? Le Jim de vingt-sept ans et de dernière minute qui m'a écrit hier sur le bon coin.

Mais je lui avais dit quinze heures il me semble, non ? pensé-je sans oser lui en faire part.

—Ah c'est bon, quelqu'un m'a ouvert. C'est au troisième étage, c'est ça ? Quel appart ? ajoute-t-il.

J'hallucine. Je me lève aussitôt complètement paniquée. C'est quoi ce cirque ? Je zyeute ma tenue. Un pyjama combinaison pilou-pilou aux motifs léopards. Pour ma défense, il fait un froid polaire la nuit ici. Je passe par toutes les couleurs de l'arc en ciel en restant bloquée sur le blanc cadavérique.

Ça sonne. Est-ce que je fais semblant de ne pas être chez moi ?

Je reste droite comme un piquet à quelques mètres de mon entrée. Je n'ose plus bouger ni même respirer, un peu comme un opossum en danger qui ferait le mort.

Ça sonne encore.

Je vire au vert.

—Hélène, tu es là ?

Mon cœur s'emballe. Et là, contre toute attente, sans vraiment savoir pourquoi, je lui réponds :

—Oui oui, j'arrive, deux minutes.

Mais pourquoi Hélène, pourquoi ? crié-je intérieurement.

J'inspire une grande goulée d'air avant de me décider à lui ouvrir. Désappointée, j'avance vers la porte, tourne la clé, retire la chaînette juste au-dessus puis appuie sur la poigné pour découvrir de l'autre côté un grand blond aux yeux beaucoup trop hypnotiques pour que ça puisse être des vrais.

—Salut, dit-il avant de me reluquer de la tête aux pieds. Je ne savais pas que la coloc était avec un léopard, ce n'était pas précisé dans l'annonce.

Je ne comprends pas tout de suite qu'il tente de faire de l'humour, sans doute parce que je suis trop occupée à mater le tatouage qu'il a dans le cou et qui dépasse de son pull.

—Excuse ma tenue mais il me semblait t'avoir donné rendez-vous cet après-midi, rougis-je.

—Tu me fais entrer ?

C'est moi ou il esquive constamment cette foutue question ?

—Euh... hésité-je.

—Merci.

L'intrus s'invite tout seul en se faufilant sur ma droite pour vite aller rejoindre la pièce à vivre, au fond du couloir derrière moi. Je reste sans voix, sciée par son attitude plus que limite depuis le début.

Non mais c'est qui ce badboy en promo qui est en train de me faire tourner en bourrique ?

—Sympa où tu crèches, me dit-il depuis le salon.

Je respire un grand coup par le ventre avant de me décider à le rejoindre.

Je vois qu'il a déjà pris ses aises, avachi dans mon canapé en velours côtelé, lequel m'a coûté un bras, sans compter les petits coussins assortis qu'il vient de bazarder en tas sur le côté pour s'en servir d'accoudoir.

Inspire, expire, Hélène.

—Euh, vous voulez... enfin, tu veux un café ? m'entends-je lui proposer.

Mais qu'est-ce qui ne tourne pas rond à la fin chez toi, Hélène ?

—Avec plaisir. Avec un sucre. Si tu as du sucre de canne, alors là, ce serait top, me répond-il avec un aplomb déconcertant.

Je mets plusieurs secondes pour recevoir et analyser l'information. Je me sens abrutie, toujours autant sidérée par la scène surréaliste que je suis en train de vivre de bon matin, un samedi pluvieux de mars.

Comment se fait-il que je me retrouve à servir le café en combi léopard à cet inconnu, cet invité forcé aussi canon que malpoli ? Il y a un truc qui doit m'échapper, là !

Je me dirige, l'air circonspect, vers ma cuisine américaine à deux pas en face du canapé, ce qui me permet de garder un œil sur mon hôte. Au cas où. Puis, je m'attèle à la préparation de son café. Je le fais couler dans une grande tasse fleurie de mon joli service en porcelaine chiné le mois dernier à la brocante. Je fouille ensuite dans mon placard au dessus de l'évier pour voir s'il me reste du sucre en morceaux.

—Je n'ai que du sucre de coco.

—Du quoi ? lève t-il un sourcil interrogateur.

—Du sucre de coco, la noix de coco.

—Ouais, j'ai compris, mais je ne savais même pas que ce truc existait.

—ça existe et c'est même très bon. Moins mauvais pour la santé.

Il se lève brusquement du canapé pour me rejoindre derrière le comptoir de ma cuisine.

—Hum ? Fais goûter, s'exclame t-il.

Il me pique le paquet des mains pour s'en verser un petit tas directement dans la bouche, à quelques centimètres de moi.

Sérieusement ?

Force est de constater qu'il est grand, très grand même. Gênée, je baisse la tête.

Il porte de chouettes baskets soit dit en passant, en daim camel. J'ai un ex qui avait les mêmes. Paul. Un mec sympa, très sympa même, enfin, jusqu'à ce qu'on couche ensemble.

Ah Paul, typiquement le genre d'homme que je fuis depuis.

Bref Hélène, là n'est pas le sujet !

—Ce n'est pas mauvais ton truc en fait, conclut Jim, tout sourire.

Arrêt sur image. Je le trouve vraiment mignon avec cette petite tache de sucre collée à la commissure de ses lèvres.

Bref Hélène, là n'est pas la question !


Confinée avec un Con finiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant